LA FRANCE EN AMÉRIQUE DU SUD : EDF ET GDF-SUEZ (1)
18/03/2014
Comment nos belles entreprises
« étudient » les territoires indiens...
avec l'appui de l'armée !
Source : http://multinationales.org/
Après Belo Monte, c'est au tour du bassin du rio Tapajós, un des principaux affluents de l'Amazone, d'être la nouvelle cible des constructeurs de grands barrages. Le gouvernement brésilien voudrait faire construire au moins quatre nouveaux grands barrages dans cette région préservée, à la biodiversité unique, et il a missionné un groupe d'entreprises, dont les françaises EDF et GDF Suez, pour réaliser les études d'impact environnemental. Pour prévenir toute velléité de rébellion chez les tribus de la zone, il leur a aussi donné l'appui de l'armée. Ou comment deux entreprises françaises se retrouvent au c?ur du conflit de plus en plus tendu entre gouvernement brésilien et populations indigènes.
Groupe d'études du Tapajós (GET) : un nom en apparence inoffensif qui cache une démarche nettement plus contestable. Celle de construire, après Belo Monte et d'autres, une nouvelle génération de grands barrages amazoniens, dans le bassin encore préservé du rio Tapajós et de ses affluents, comme le rio Teles Pires. Au moins quatre nouveaux barrages sont prévus dans la région, qui abrite une biodiversité très riche, mais encore mal connue, et des milliers d'indigènes. Le GET, qui regroupe diverses firmes privées sous l'égide de la compagnie publique d'électricité Eletrobras, est chargé d'étudier la région en vue de réaliser les études d?impact environnemental des futurs barrages.
Deux entreprises françaises sont parties prenantes du GET : au-delà des études d?impact, à la construction et à la gestion des futurs barrages du rio Tapajós. EDF a soumis sa candidature aux enchères pour le barrage de Sinop sur le Teles Pires et, malgré son échec, était récemment en discussion pour racheter une partie du consortium vainqueur. En revanche, l'entreprise a choisi de ne pas participer aux enchères pour le barrage de São Manoel (toujours sur le Teles Pires), qui ont eu lieu en décembre dernier, ni d'ailleurs GDF Suez, qui s'était déclarée un temps intéressée, mais semble avoir jugé les risques trop élevés. Interrogée en décembre dernier, EDF déclarait alors réfléchir à une éventuelle candidature pour construire le barrage de São Luiz do Tapajós, sur la rivière du même nom, les enchères sont prévues pour septembre 2014, comme pour le dernier barrage projeté, celui de Jatobá.
Après les barrages de Jirau et Santo Antonio et, surtout de Belo Monte, le rio Tapajós apparaît désormais comme le nouveau front de la bataille politique et médiatique que se livrent, d'un côté, le gouvernement brésilien et ses alliés industriels et, de l'autre, les populations indigènes et le mouvement environnementaliste international. Si les promoteurs de ces barrages estiment qu'il s'agit d'un sacrifice nécessaire pour assurer l'indépendance énergétique du Brésil, les critiques soulignent, comme dans le cas de Belo Monte, qu'il s'agit surtout de favoriser le développement du futures mines (notamment d'or) dans la région. À terme, ce sont pas moins de douze barrages qui pourraient être construits dans tout le bassin.
Militarisation des études environnementales ?
Une partie des barrages projetés sur le rio Tapajós doivent être construits sur le territoire des indiens Munduruku, l?une des principales tribus amazoniennes, qui compte environ 13 000 membres. Ils ont déjà fait savoir qu'ils étaient prêts à s'opposer par la force, au besoin, à la construction des barrages. Même si, en théorie, leurs villages ne seront pas inondés, les Munduruku craignent les conséquences de la modification de l'hydrologie du fleuve, la destruction de la biodiversité, et l'impact social des futurs chantiers, et de l'afflux de migrants qu'ils ne manqueront pas d'occasionner. Un de leurs sites sacrés, les chutes de Sete Quedas, a d'ailleurs déjà été détruit du fait des travaux d'aménagement sur la rivière.
Il y a quelques mois, des Munduruku ont capturé trois scientifiques du GET ; ils leur reprochaient de ne pas avoir été consultés au préalable avant leurs démarches de prospection. Ces experts ont été ensuite libérés. Mais ces événements expliquent sans doute le décret étonnant promulgué récemment par le gouvernement brésilien : un décret qui octroie le soutien de l'armée nationale à tous les projets de réalisation d'études d'impact social ou environnemental sur les terres indigènes, et interdit aux populations locales de manifester contre ce genre d'études.
Un décret directement lié aux événements du rio Tapajós, que les indigènes ont baptisé « décret de la répression ». Selon les Munduruku, depuis cette décision, « la police et les forces armées encerclent nos villages. Ils pensent qu?ils peuvent nous intimider, mais nous ne serons jamais intimidés ». Selon eux, la réalisation des études d'impact n'est qu'une manière de les mettre devant le fait accompli.
Localement, les projets de barrages n'ont pas que des opposants, certains espérant qu'ils amèneront avec eux le développement. Des journalistes qui ont assisté à l'une des « auditions publiques » destinées à « consulter » les populations sur le projet de barrage de São Manoel décrivent « un exercice de relations publiques ». Une partie de la Justice brésilienne conteste le principe même de ces auditions publiques, au motif que les indigènes devraient auparavant, au regard du droit international, pouvoir donner leur « consentement libre, préalable et informé ». « En militarisant fortement la région, le gouvernement a rompu le dialogue avec ces populations et a rendu impossible l'organisation d?une consultation préalable adéquate », a déclaré le procureur du Pará Felicio Pontes. Avec d'autres procureurs, celui-ci a même réussi à faire annuler, temporairement, une audition. Mais, comme souvent en matière de grands barrages au Brésil, cette décision de justice a été annulée grâce à une disposition légale datant de la période de la dictature, qui permet au pouvoir exécutif de suspendre les règles du droit lorsque la « sécurité nationale » est en jeu.
Ces développements montrent combien, en matière de grands barrages, la réalisation des études d'impact n'a rien d'anodin. Symbole de l'opacité du processus, les scientifiques mandatés ont d'ailleurs interdiction absolue de parler à la presse. Les études d'impact sont déterminantes pour l'octroi des licences administratives, et ensuite pour les programmes de « compensation » sociale et environnementale auxquels les constructeurs du barrage seront tenus.
Selon les critiques, le travail des experts du GET vise surtout à donner l'impression aux communautés locales que la décision de construire les barrages est un fait accompli : l'objectif est d'« intimider et coopter les communautés locales, en donnant l'impression que les barrages sont un fait accompli et qu'ils vont retirer beaucoup d'argent de ces projets. », selon Brent Milikan de l'ONG International Rivers. Le site internet du GET affiche d'ailleurs la couleur : il n'y est question que de « lever les doutes » et « démystifier les barrages ». Que des entreprises comme EDF et GDF Suez (entre autres) participent au GET constitue aussi une situation de conflit d'intérêts dès lors que ces mêmes entreprises sont intéressées à la construction de ces mêmes barrages, ou d?autres.
Recul des droits des indigènes ?
Les Munduruku ont été rejoints dans leur lutte par des tribus voisines, alliées traditionnelles, et bénéficient du soutien des autres peuples indigènes du pays. Ces derniers sont très remontés contre les grands projets lancés en Amazonie et dans le reste du Brésil ces dernières années, dont le mégabarrage de Belo Monte ne constitue que la face la plus visible. Cinquante guerriers Munduruku ont occupé en décembre 2013 un bâtiment officiel du gouvernement à Brasilia, celui-là même qui abrite l'administration qui a le pouvoir de décider de « suspendre » les décisions de justice au nom de la sécurité nationale.
Pour les indigènes brésiliens, le décret adopté par le gouvernement de Dilma Roussef autorisant le recours à l'armée pour réaliser les études d?impact du Tapajós s'inscrit dans une tendance au recul des droits des peuples indigènes dans le pays. Le processus de démarcation officielle des terres indigènes, prévu par la Constitution de 1988, est au point mort. Plusieurs projets législatifs ou décrets ont été introduits par la Chambre des députés et/ou par le gouvernement de Dilam Roussef pour limiter les droits juridiques des indigènes sur leurs propres terres et régulariser la situation des grandes exploitations agricoles.
Sonia Guajajara, coordinatrice de la Coordination des peuples indigènes du Brésil (APIB) est actuellement en visite en Europe pour dénoncer la régression que subissent actuellement les indigènes brésiliens et le rôle indirect des entreprises françaises.
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