L'OR DES CRIQUES, MONSIEUR WAGNER, roman, une tétralogie brésilienne en quatre actes
17/07/2015
Comme je vous aime bien, je vous livre en avant-première quelques extraits de mon nouveau roman... Il est à présent disponible en librairie.
« Ils progressaient ainsi, lentement, péniblement, lorsqu’ils entendirent le bruit que produit le percuteur d’un fusil qu’on arme. Fafner se retourna d’un bond. Lui et Toninho avaient misé sur le fait qu’Alberício ne pouvait s’absenter du site au-delà de lundi. Ils s’étaient lourdement trompés. C’était bien lui qui maintenant les tenait en joue.
"Alors, les gars, comme on se retrouve, n’est-ce-pas ?
‒ Alberício … qu’est-ce que tu fais là ?
‒ Quelle question ! Je suis là parce que je savais où vous trouver. Parce que, également, je suis venu chercher l’or avec lequel vous avez pris la fuite. À vous deux, en comptant la part de Fasolt, vous êtes partis avec pas loin d’un kilo.
‒ Mais tu avais dit… tu nous avais promis…
‒ Et vous m’avez cru ? Fafner, tu étais tellement préoccupé de sauver la vie de ton rapazinho que tu as perdu tout discernement. Mais comment as-tu pu penser que je renoncerais à un tel paquet ? Maintenant que nous sommes ici, je n’ai plus aucune raison de vous laisser en vie. Je vais donc vous descendre tous les deux, récupérer l’or que vous avez sur vous et laisser les bestioles faire leur boulot". Toninho avait reconnu un tel mépris dans la bouche d’Alberício lorsqu’il avait employé pour le désigner le terme de rapazinho qu’il ne put s’empêcher de s’adresser à lui sur un ton agressif.
"Attends, reprends-le, ton or, et fiche-nous la paix !
‒ Mais… bien sûr que je vais le récupérer. Mais donne-moi une seule bonne raison de vous laisser en vie. Dès que j’aurai tourné les talons, vous me filerez le train, ou mieux… Vous me dénoncerez sur le premier placer que vous trouverez en chemin. Désolé, les gars, je n’ai pas le choix".
Il ajusta son arme et visa. Un sifflement parcourut l’air, suivi d’un choc sourd. Une expression d’incompréhension traversa fugitivement le regard d’Alberício qui s’écroula, le visage enfoui dans l’humus du chemin, une flèche de près d’un mètre de long fichée entre ses omoplates. Quelques mètres derrière le cadavre se tenait René, l’Indien Wayãpi, débusquant sa silhouette dissimulée derrière le tronc d’un grand wakapou. Il tenait un arc presque aussi grand que lui, bandé et prêt à tirer une seconde flèche.
Il n’en eut pas besoin ».
« Ce matin-là les hommes furent secoués par le crépitement des pales d’un hélicoptère qui survola le campement. Il se mit en vol stationnaire à l’aplomb des carbets, afin sans doute de les compter et de se rendre compte de l’importance du chantier. Puis il plongea vers l’ouest et disparut bientôt par-delà la canopée. Un gros engin Puma griffa le ciel ensuite mais sans s’arrêter. Le placer avait déjà été signalé, sans aucun doute.
"Cela annonce des emmerdements. Ils se rendent sans doute vers le Haut-Approuague, dit Elsa. Je vous fiche mon billet que, dès ce soir, on va voir rappliquer une foule de pauvres gars qui auront pris la forêt avec juste une paire de bottes et leur hamac roulé dans lequel ils auront caché leurs petites boîtes de poudre d’or. La Harpie des Français ne les lâchera pas comme ça. Ils vont mettre le feu aux carbets situés dans tout le secteur Grand Kwata, Carbet Brûlé, Bœuf-Mort, etc. Puis ils reviendront ici pour finir le sale boulot. Fafner, prends trois gars avec toi et immerge les moteurs de pompe au fond des cuvettes, le plus profondément possible. Avec un peu de chance, ils ne les retrouveront pas tous. D’ici deux ou trois jours, on avisera".
Comme l’avait prévu Elsa, la fin de la journée vit affluer une bonne vingtaine de garimpeiros qui avaient gagné la forêt au pas de course dès l’arrivée des hélicoptères. Tous, hélas n’avaient pu prendre la fuite et étaient actuellement interrogés par les forces de gendarmerie de Guyane. Après identification, photographies anthropométriques et saisie de leur or, ils seraient relâchés dès le lendemain avec l’ordre de regagner le Brésil au plus vite et la menace de peines d’emprisonnement en cas de récidive. Dès le départ des forces armées ils retourneraient à leur garimpo, reconstruiraient leurs carbets comme de bons petits soldats et tenteraient de remettre en état de marche les moteurs de pompe, enfin ceux qui n’auraient pas été détruits à coups de pots thermiques par les militaires. Entêtés, fatalistes, les Brésiliens s’accrochaient sans découragement à leur rêve d’une vie moins misérable. La désespérance, ils l’avaient déjà connue et abandonnée au pays. Les opérations des "militaires français" n’étaient pour eux que de fâcheux contretemps dans la poursuite d’un projet insensé pour tout autre qu’eux-mêmes ».
L'or des criques, Monsieur Wagner, roman
Éd. L'Harmattan, Paris, 2015
ISBN : 978-2-343-06704-9
240 pages - prix librairie : 22 €
Disponible en librairie ou sur le site de l'éditeur
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