MAIS VERS LE MER, OÙ TU TE PERDS, roman
16/08/2021
De sous la canopée s’élève le lamento d’une femme dont l’histoire s’inscrit inexorablement dans celle de sa lignée, à sa « juste place ». Elle la quête désespérément, comme sa mère, ses aïeules et toutes les femmes de sa lignée, mais ne parvient pas à la trouver, ne pouvant échapper au destin de son ascendance, qu’elle répète. Elle espère pourtant remplir sa mission de femme businenge, être garante et transmettrice de la terre où fructifiera sa descendance, fonder le clan maternel pour que s’épanouissent ses petits fruits dans le climat de sérénité dont elle a soif. Sur ces vies arides et ballottées veille la figure tutélaire de la Ouma, grand-mère bienfaisante et protectrice, exerçant la solidarité féminine comme un havre de ressourcement et de continuité. Le récit en donne de magnifiques portraits, apaisants et radieux malgré ce que le lecteur peut imaginer d’épreuves qui ont buriné ces beaux visages de vieilles gardiennes et délavé leurs yeux [...].
De sous la canopée, son lamento résonne avec toute la sensibilité et la subtilité d’une écriture musicale que Joël Roy a su transposer depuis des codes musicographiques jusque dans une poétique des mots. Images, comparaisons, motifs et métaphores tissent, tels des leitmotivs, un palimpseste révélant le sens humain et social du récit : la pirogue de la vie, l’arbre maternel et ses fruits, la juste place, le rocher, le regard, le désir, mais aussi le faya, les armes… Des accents d’allégresse et des hymnes à la vie traversent la partition, sur un mode majeur qui s’accorde à la présence solaire déversant dans les clairières et sur le fleuve le chant d’une nature primitive : quelques scènes évoquent un paradis qui fait contrepoint aux incendies dont le « rouge, noir, rouge, rouge, noir, rouge… » sourd avec tout son lot de menaces et d’exactions.
Brigitte Quilhot-Gesseaume,
comparatiste et chroniqueuse
Que serait une vie qui n’aurait d’autre destination que sa propre fin ? Même si elle est inéluctable, même si les destinées, féminines ainsi que masculines d’ailleurs, sont ici marquées du sceau du malheur, ce roman n’est pas un récit tragique. L’espoir n’est jamais absent, ni les bienfaits, ni les temps de répit bienheureux : la forêt n’est jamais irrémédiablement sombre. Le mal et le bien alternent, laissant souvent les personnages dans l’incompréhension de ce qu’il leur arrive. La vie, ici comme ailleurs, est une navigation périlleuse, ce que les Anciens ne cessent de rappeler.
Voici donc l'histoire d'une femme, porteuse et passeuse d'un destin qui est, selon la conviction de sa grand-mère putative, une pirogue sur le fleuve qui ne peut jamais retourner à son point de départ mais qui n'arrive nulle part, sauf peut-être à la mer, où elle sa perd.
Un extrait : aux soignants itinérants sur le fleuve qui veulent l'emmener à la ville pour l'hospitaliser, M'ma Saskia répond :
« Mi no sabi sama na yu ! Je ne sais pas qui vous êtes, mais je sais que le plomb qui tue le maïpouri tue aussi l’agouti. Vous voulez que je parte ? Vous voulez que je quitte ma terre pour aller me montrer à des gens qui ne m’ont jamais vue et qui pensent me soigner sans me connaître ? Ici sont les esprits de mes ancêtres, ils me protégeront s’ils le veulent, mais certainement pas si je les quitte pour aller dans votre ville. Je ne sais pas si je vais mourir ici, ni quand, mais je sais que mes yorka ne me permettront pas de vivre dans un lieu sans forêt ni sans fleuve où ils peuvent habiter. Vous pouvez rentrer chez vous, moi je reste ici. Ma vie, c’est comme ça ! »
Disponible dès le 24 août en Guyane chez votre libraire ou
en commande chez l’éditeur
Éditions Orphie - Collection Différences
164 pages - 12 euros
ISBN : 9791029804724
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