Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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« LE MAWINATONGO, UNE LANGUE VÉHICULAIRE REVISITÉE », une conférence de Joël Roy

08/05/2017

 

La langue du fleuve, parlée par tous dans l'ouest guyanais

 

 

Des structures de référence

18118478_1958068814424360_6611548406595702887_n.jpg1  Mamabobi a été membre d’Eblul France (European Bureau for Lesser-Used Languages) qui a disparu en 2010, faute de moyens.

2 L’ONG Elen (European Language Equality Network) prend la suite de l'ancien Bureau européen pour les langues les moins répandues et intervient sur les mêmes champs de compétence et d’action. Active à l'échelle européenne, qui s'est donnée pour mission la défense et la promotion des langues européennes les moins utilisées, c'est-à-dire les langues régionales, les langues minoritaires, langues co-officielles ou langues nationales des petites nations.

3  La Convention N° 169 de l’OIT (Organisation internationale du travail) stipule que « les peuples autochtones ont des droits et des besoins collectifs, fondés sur leur souhait de transmettre aux générations futures une histoire, une culture, des valeurs, une langue, un savoir, des stratégies de subsistance et des modes d’apprentissage qui leur sont propres ».

Les articles 26, 27 et 28 de cette convention, notamment, décrivent les conditions dans lesquelles ces droits pourront garantis.

Principalement :

-  Les programmes et les services d’éducation pour les peuples intéressés doivent couvrir leur histoire, leurs connaissances et leurs techniques, leurs systèmes de valeurs et leurs autres aspirations sociales, économiques et culturelles.

Les programmes éducatifs destinés aux peuples autochtones doivent être élaborés et mis en œuvre avec leur collaboration, afin de répondre à leurs besoins spécifiques.

-  La gestion des programmes éducatifs doit être confiée progressivement aux peuples autochtones.

 

Dans son alinea 1, l’article 28 précise en outre que « lorsque cela est réalisable, un enseignement doit être donné aux enfants des peuples intéressés pour leur apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue indigène ou dans la langue qui est la plus communément utilisée par le groupe auquel ils appartiennent ».

 

Dans son alinea 2, il réaffirme la nécessité de la présence de la langue nationale ou officielle : « des mesures adéquates doivent être prises pour assurer que ces peuples aient la possibilité d’atteindre la maîtrise de la langue nationale ou de l’une des langues officielles du pays ». Il y va, sans doute, de la cohésion sociale du pays.

En contradiction totale avec les principes des droits de l'homme, du droit international et du droit européen, la France continue à refuser à ses citoyens la reconnaissance de ce droit. Imposant une réforme territoriale technocratique et anti-démocratique contre l'existence de territoires identifiés, porteurs d'histoire, de culture et de langues propres, le pouvoir entend assimiler par la force tous les habitants à l'identité nationale unique. Les citoyens et les peuples, aujourd'hui, aspirent à maitriser et non à se voir dicter leurs destins et la définition de leurs propres identités, tant individuelles que collectives par quelque pouvoir que ce soit.

De récents événements nous l’ont montré.

Dans l’ouest guyanais, le choix d’une langue…

Le mawinatongo ou le taki-taki revisité

 

Le taki-taki a longtemps été considéré comme une langue mineure, jamais réellement reconnue comme une langue à part entière parmi les langues autochtones ou maternelles créoles (à bases lexicales française ou anglaise, parfois relexifiées en néerlandais ou en portugais). Le linguiste Bernard Cerquiglini, dans un rapport rédigé en 1999 et intitulé « les langues de France », désigne onze langues de Guyane pouvant prétendre à la reconnaissance en tant que langue régionale. Parmi toutes celles-ci, une seule est institutionnellement prise en compte : le créole guyanais.

Le taki-taki, que nous appellerons désormais mawinatongo, la langue du Maroni, est une langue créole à base lexicale anglaise avec de nombreux apports néerlandais, français mais aussi venant de langues amérindiennes. Au fil du temps qui passe, le taki-taki s’est imposé comme la langue véhiculaire la plus répandue, inter-compréhensible par toutes les populations dans le grand ouest guyanais et, tout particulièrement, sur les deux rives du fleuve Maroni qui forme la frontière entre la Guyane « française » et le Suriname voisin. Il s’agit donc bien d’une langue transfrontalière, commune à de nombreuses populations autochtones, endogènes ou exogènes. Elle est également employée par des milliers d’individus hors du bassin du Maroni ainsi que par les diasporas multiculturelles surinamaise et guyanaise aux Pays-Bas et en France.

 

 7-Parlons mawinatongo réduite.jpgCette langue est apparue peu à peu avec de nombreuses variantes. La communication entre différents peuplements devenait indispensable ne serait-ce que pour mener à bien les échanges nécessaires.

 

« Selon certains linguistes, le taki-taki engloberait le sranantongo et les variétés parlées par les Noirs Marrons habitant l’ouest de la Guyane et l’est du Suriname. Pour d’autres chercheurs, ce terme fait référence aux langues parlées par les populations businenge, y compris les Saamaka.

 

Un troisième groupe de travaux définit ce terme en référence à toutes les langues des Noirs Marrons et au sranantongo. Finalement, certains chercheurs mentionnent que le terme taki-taki désigne une nouvelle langue ou une variété de langue qui serait issue du contact entre différents groupes et distincte des autres langues présentes » (Léglise, Isabelle & Migge, Bettina, 2007).

 

 

Qu’il me soit permis, ici, de manifester un désaccord profond avec ces deux acceptions. Il suffit d’une paire d’yeux et d’une paire d’oreilles pour voir et entendre que les populations noires ne sont pas seules à parler taki-taki. Dans tout le bassin du Maroni des commerçants chinois, des Amérindiens et des Hmongs parlent et comprennent cette langue.

 

 

 

« Le terme taki-taki, très couramment utilisé, est pourtant à éviter pour deux raisons : il est dépréciatif et surtout il est ambigu, puisqu’il peut désigner alternativement n’importe lequel des parlers businenge, mais aussi le sranantongo, ou [encore…] la  langue du fleuve en constitution sur le Maroni et à Saint-Laurent du Maroni, même chez les populations non-businenge »(Les langues de Guyane, Collectif, 2000). Et c’est bien là que se trouve l’enjeu à défendre ; cette langue est véhiculaire, parlée et comprise par tous. Il s’agit bien là d’une langue désethnicisée et territorialisée.

Celle-ci s'est enrichie au moyen d'une relexicalisation par mélange de codes et emprunts à d’autres langues. La source principale de ces emprunts est le sranantongo (le créole surinamais) mais les locuteurs puisent également dans des langues exogènes comme le néerlandais, le français ou l’anglais. Ils empruntent aussi aux langues locales ou autochtones (autres langues businenge, langues amérindiennes). D’un point de vue social, cette variété est associée à des contextes non-traditionnels comme les interactions dans la rue, à la périphérie du village, et en dehors de la maison. On l’entend le plus souvent dans des zones urbaines et parmi les hommes jeunes. Ceux-ci l’emploient souvent entre eux et avec des hommes d’autres groupes ethniques. Dans ces contextes, les locuteurs démontrent leurs compétences langagières et leurs expériences en dehors de la communauté locale ; ils se présentent comme des urbains, modernes (cf. également Alby & Migge, 2008).

De tous ces échanges informels a donc émergé cette langue jusque-là dite « taki-taki » qu’il faudra bien, désormais, nommer mawinatongo (la langue du Maroni, la langue du fleuve) qui se voit, en ce début de XXIè siècle, acquérir droit de cité et légitimité. Sa principale caractéristique : le mawinatongo est parlé et compris, nous l’avons vu, par l’essentiel des populations de l’Ouest guyanais ainsi que sur l’autre rive du Maroni, au Suriname.

La Guyane, personne ne l’ignore plus, est une mosaïque de cultures et de langues. Le mawinatongo contribue sans aucune exclusive à la reconnaissance mutuelle et à l’interculturalité, des deux côtés du fleuve, et bien au-delà. Les populations les plus récemment installées dans l’Ouest guyanais, toutes origines confondues, comprennent cette langue et la parlent.

En Guyane, le terme taki-taki a toujours renvoyé à différents phénomènes linguistiques et sociolinguistiques. Le sens qu’on peut socialement lui attribuer ainsi que sa nature linguistique dépendent à la fois du locuteur et de la situation dans laquelle le terme est utilisé. D’un point de vue linguistique, ce terme renvoie à une gamme importante de variétés assez différentes, allant de pratiques très simplifiées pour échanger avec des allophones (en général Européens ou Créoles guyanais) aux pratiques entre Natifs (Léglise & Migge, Pratiques et représentations linguistiques en Guyane : regards croisés 133-157. Paris: IRD Editions, 2007).

Les jeunes de l’ouest guyanais, par ailleurs, utilisent souvent eux-mêmes le terme « taki-taki » pour renvoyer à une langue qui leur serait commune à tous. Cette appellation leur permet, et ce n’est pas rien, d’afficher une identité en faisant comme s’ils appartenaient à un même groupe. Il est donc devenu urgent que la langue parlée par tous ces jeunes gens affichant, voire revendiquant une même identité, ne soit plus désignée par un terme dépréciatif, mais reconnue et prise en compte institutionnellement.

Pour que les langues régionales ou minoritaires de France puissent vivre, il n’est pas suffisant d’obtenir quelques concessions de l’Éducation nationale ou des autorités administratives. La Constitution française reconnait désormais les langues régionales comme un patrimoine de la France, mais le droit et les institutions n’ont pas changé. Ces langues et leurs locuteurs doivent donc se contenter de quelques mesures-alibis marginales, des tolérances ou des dérogations laissées à l’appréciation des décideurs. C’est le cas pour les intervenants en langues maternelles.

Seule la reconnaissance d’un statut légal pour ces langues, créateur de droits et mis en œuvre par des autorités élues des territoires concernés est de nature à garantir un avenir à nos langues régionales un et à sortir la France du jacobinisme culturel.

 

Un statut pour nos langues :

L’enseignement des langues régionales reste livré à l’appréciation discrétionnaire de l’administration. Celle-ci ne développe cet enseignement que sous la contrainte des parents et comme une dérogation à l’enseignement monolingue francophone de droit commun. Ce caractère subsidiaire de l’enseignement en langue régionale fait obstacle à son développement et le réduit à une exception coûteuse et compliquée.

Or, une heure en langue régionale ne coûte pas plus cher qu’une heure en langue française dès lors que le système éducatif est conçu pour offrir un tel enseignement de manière véritablement organisée.

Pour cela, il faut une volonté politique :

- mettre en place des filières de formation des personnels chargés de l’enseignement dans les langues locales ;

- reconnaître un droit pour les parents à obtenir un enseignement dans une langue locale pour leurs enfants ;

- mettre en place des enseignements immersifs en langue régionale ;

- assurer la continuité de cet enseignement jusqu’au baccalauréat ou mieux jusqu’à l’enseignement supérieur ;

- proposer des activités extrascolaires, et des médias publics en langue régionale ;

- offrir la possibilité de l’utiliser au sein des institutions publiques et privées.

Tels sont les éléments que je décrivais au début de mon intervention, constitutifs d'un statut légal pour ces langues, garantissant une place reconnue à côté du français, une place non concurrentielle mais complémentaire.

Ceci implique pour l’État ou le territoire concerné des compétences appropriées :

- en matière d’enseignement et de formation professionnelle ;

- dans le domaine des médias publics ;

- en ce qui concerne l’action culturelle ;

- pour la petite enfance ;

- pour ce qui concerne l'utilisation de la langue régionale dans les services publics.

La promotion d’une langue véhiculaire, donc commune à tous, passe par l'autonomie culturelle des territoires où elle est pratiquée.

C’est ainsi que le mawinatongo peut permettre à des populations diverses de se forger cette identité commune pour échapper au tribalisme et éviter le rejet de l’Autre.

 

C’est bien là la condition essentielle à la construction d’un avenir commun et à l’adoption libre et consentie d’une véritable identité nationale.

Des outils

Pour mémoire : une trentaine de langues sont parlées en Guyane. Certaines sont des langues étrangères (le portugais du Brésil, le néerlandais, le chinois haka, le hmong, l'anglais, l'espagnol...) d'autres sont des langues créoles (créole cayennais, djukatongo, alukutongo, saamakatongo, créoles antillais, créole haïtien, etc.). Toutes ces langues sont des langues d'importation, tout comme la langue de la République. Outre toutes celles que je viens de citer (et j'en ai oublié...), les langues amérindiennes,  qu'elles soient de type caribe ou tupi-guarani, sont autochtones.

 

Parmi ces langues, le mawinatongo est inter-compréhensible par toute la population du Grand Ouest guyanais, que les gens soient Amérindiens, Businenge, Javanais ou Chinois. Elle est parlée également dans la majeure partie du Suriname et par toute la diaspora surinamaise, marronne et créole des Pays-Bas (tous confondus, presque un million de locuteurs). Précisons que toutes les projections démographiques font état pour la Guyane, à l'horizon des quinze années à venir, d'un pic de population businenge avec une inversion ethno-numérique qui, si l'on n'y prend pas garde, pourrait bien conforter la non-inversion de la courbe du chômage...

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 Mama Bobi a choisi de procurer à ces habitants du bord du fleuve et de la forêt des outils culturels accessibles qui leur font cruellement défaut.  Dans cette démarche, nous avons initié un travail ambitieux : mettre à la disposition des enfants peu ou non-francophones une collection de petits livres de jeunesse, en deux langues, français et Mawinatongo (langue du Maroni), qui soient attractifs et racontent des histoires qui leur ressemblent.

Trois album de la collection sont actuellement disponibles :

- Petit-Noyau au marché, Pikin Siri a wowoyo ;

- Petit-Noyau et les animaux, Pikin Siri nanga den meti ;

- Petit-Noyau attend un petit frère, Pikin Siri feni wan brada

 

Page 8.jpgAprès avoir suivi Petit-Noyau et sa maman au marché, puis entendu ce que le tonton de notre petite fille lui explique en termes de chasse et de pêche : les bons usages du chasseur-pêcheur qui perçoit les enjeux d'une gestion coutumière de la ressource... Attendons avec elle dans le troisième album la naissance de ce petit frère tant désiré et voyons au travers du prisme de ses représentations de petite fille le déroulement, entre médicalisation et tradition, de la grossesse de sa maman.

 

Ces albums ont été co-écrit par une équipe plurilingue (mawinatongo-français)

- Texte en français : Joël Roy

- Texte en mawinatongo : Ingrid Apaï, Chafara Asosie et Celda Flink

- Illustrations : Brigitte Day

 

 

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 Consultez ici  les livres dont le Témoin en Guyane est l'auteur !


08/05/2017
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