PARAGUAY : LE SOJA TRANSGÉNIQUE CHASSE LES PAYSANS DE LEURS TERRES
06/09/2013
Le bétail européen est bien nourri,
les paysans paraguayens sont affamés...
Exporté vers l'Europe pour le bétail et les agrocarburants,
le soja transgénique représente 80% des cultures du pays !
Source : Le Monde
Asunción (Paraguay)
La terre est rouge et fertile à Curuguaty, à 250 km à l'est d'Asunciôn, près de la frontière avec le Brésil. C'est l'une des principales régions de culture intensive de soja transgénique, dont le Paraguay est le 4è exportateur mondial. Et c'est l'un des foyers de la révolte des sans-terre. C'est là, à l'orée de la plantation de Morombi, que 14 paysans et 7 policiers ont été tués, le 15 juin 2012, au cours d'un affrontement dont les circonstances n'ont jamais été éclaircies. Ce que l'on a appelé « le massacre de Curuguaty » avait entraîné une semaine plus tard, après un procès expéditif au Parlement, la destitution de Fernando. Lugo, l'ex-président de centre gauche.
Depuis, les tensions n'ont pas cessé. Lundi 5 août, à une soixantaine de kilomètres de Curuguaty, 300 paysans ont été chassés par la police des champs qu'ils revendiquaient et où ils se sont réinstallés le vendredi suivant.
Au Paraguay, la ruée vers le soja, dont le prix est monté en flèche sur les marchés internationaux, a accéléré ces dernières années l'expulsion, souvent violente, des petits paysans qui vivaient traditionnellement de la culture du manioc, du maïs et de l'élevage, entraînant dans la foulée une flambée des prix alimentaires.
Les racines du mal sont anciennes. Clyde Soto, membre de la Coordination des Droits de l?Homme au Paraguay, qui évalue à 300 000 les familles de paysans sans terre, rappelle qu'entre 1989, année du retour de la démocratie, et 2005, 120 paysans ont été assassinés. Au cours des vingt dernières années, 100 000 autres ont été contraints d'émigrer vers les villes où ils vivent dans l'indigence.
« À Curuguaty, 700 000 hectares sont entre les mains d'une seule famille, les Riquelme », explique Perla Alvarez, représentante de la Coordination nationale des organisations paysannes et indigènes du Paraguay. Blas Riqueime, le patriarche, mort récemment, avait été surnommé le « Carlos Slim paraguayen » en raison de son immense fortune, amassée pendant la dictature du général Alfredo Stroessner (président du pays de 1954 à 1989). Durant cette période, près de 8 millions d'hectares ont été donnés de façon irrégulière à des proches du régime. Aujourd'hui, les paysans réclament en vain la restitution de ces terres.
« Le principal problème vient de ce que 80 % des terres sont entre les mains de 2 % de la population, souligne Domingo Laino, président de la Plateforme d?études des conflits paysans. La patrie du soja est un paradis fiscal. C'est le secteur qui rapporte le plus d'argent mais aussi celui qui paie le moins d'impôts. »
M. Laino dénonce « l'invasion », depuis les années 1970, de 300 000 a 500 000 Brésiliens, les « Brasiguayos », qui « règnent en seigneurs féodaux sur des terres frontalières avec le Brésil et s'enrichissent avec le soja ». D'autant qu'il s'agit aujourd'hui d'OGM, rendus résistants au glyphosate, un herbicide très toxique. « Les cultures transgéniques utilisent, sans aucun contrôle, des pesticides mortels qui contaminent l'environnement et mettent en danger la santé de la population », accuse-t-il.
Pas de réforme agraire
Domingo Laino donne en exemple le département d'Alto Parana où Tranquilo Favero, brésilien nationalisé paraguayen, a été baptisé « le roi du soja ». C'est le plus gros producteur de soja du pays et l'un des plus grands latifundistes d'Amérique du Sud, avec un royaume qui s'étend jusqu'à l'Uruguay et la Bolivie.
La concentration de la propriété foncière et l'augmentation du nombre de paysans sans terre rendent de lus en plus difficile l'accès aux produits alimentaires, dans un pays où l'agriculture représente pourtant 22 % du PIB, le plus haut taux d'Amérique latine. La superficie des plantations de soja a quasiment doublé en dix ans, pour dépasser 3 millions d'hectares. Et l'«or vert» représente 80% des récoltes du pays.
Le nouveau président, Horacio Cartes (parti Colorado), élu le 15 août, n'a exprimé aucune intention de modifier le modèle agricole ou d'impulser une réforme agraire favorisant une plus juste distribution de la terre. L'un des hommes les plus riches du Paraguay, M. Cartes a bâti sa fortune sur le tabac, labière, l'aéronautique et, aujourd'hui, de vastes plantations de soja.
Près de 60 % du soja paraguayen est exporté vers l'Europe, pour l'alimentation du bétail et la production, croissante, de biodiesel, selon Oxfam. « La soif européenne d'agrocarburants condamne des millions de personnes à la faim », dénonce l'ONG internationale. Un cri d'alarme dont elle espère qu'il sera entendu par le Parlement européen qui, le 10 septembre, doit voter une réforme de la politique communautaire sur les agrocarburants.
Christine Legrand,
Le Monde, 25-26 août 2013
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