01/05/2012
L'ignorance et l'indifférence ne tuent pas seulement les personnes, elles tuent l'espoir chez celles qui restent.
Ce troisième volet tentera un état des lieux des différentes alertes lancées depuis 2003, ainsi qu'une balade parfois indécente, toujours dérangeante, au fil de l'actualité de ces dernières années, qui présentera quelques occurrences de ces passages à l'acte. Attention : les cas évoqués ci-dessous ne sont pas obligatoirement les plus récents, ils ont été choisis pour leur significative diversité de profils de victimes (âge : de 9 à 35 ans environ). La procédure en reste absolument immuable : c'est la pendaison.
« Il est difficile d'admettre que la vague des suicides en pays amérindien, révélée dès 2003, n'ait à l'époque suscité presque aucune émotion au sein du monde politique, ni aucune action significative des pouvoirs publics. Ces huit années perdues permettent de mesurer la responsabilité des autorités comme la sincérité des partis qui expriment aujourd'hui, avec ostentation, leur compassion pour les plus récentes victimes.
Et comment ne pas s'étonner de ces décisions dérisoires : placer des points d'accès Internet et des psychologues intérimaires, construire un plateau sportif à Camopi. À l'évidence, le préfet de Guyane n'a pas pris la mesure du problème, qu'il traite comme une simple question de santé publique.
Le drame qui se joue en pays indien est la réplique d?un vieux problème de l'histoire du monde. C'est la rencontre d'une société forte et dominante et d'une société affaiblie et dominée. C'est en premier lieu cette rencontre, irrésistible et profondément inégale, qui produit tant de désordre et de violence. Il faut se donner les moyens d'enrayer ce drame.
Il faut stopper l'hémorragie, apprendre à traiter les crises familiales ou amoureuses qui sont à l?origine de tant de gestes suicidaires. Il faut faciliter l?éloignement et la prise en charge des personnes en détresse. Il faut créer sur place les équipements, les services publics, susciter les activités sociales nécessaires?
Mais le secours et l'aide apportés à nos compatriotes doivent leur épargner l'assimilation. Ils doivent leur permettre de prendre en main leurs sociétés et leur avenir. Acceptons l'idée que ces sociétés et cet avenir soient différents des nôtres : malgré le mépris et la domination qu'ils subissent, les Wayana, les Emerillon et les Wayampi sont encore des peuples aujourd'hui.
L'État doit créer une commune à Talwen, et remettre aux communautés la propriété des terres. Les autorités doivent les aider à mettre en place une politique de développement local à long terme, originale, respectueuse du patrimoine traditionnel, qui renforcera les sociétés communautaires et accompagnera l'ouverture de leurs territoires en toute équité. Une politique qui produira les élites qui leur font sévèrement défaut.
C?est à ce prix que la nécessaire rencontre des peuples sera mutuellement profitable, et sincèrement fraternelle ».
Lettre ouverte de Brigitte Wyngaarde, 2011
L'isolement et la perte des repères traditionnels sont, entre autres, à l'origine du mal-être qui touche les communautés amérindiennes.
Mardi après-midi, une nouvelle fois, le Haut-Maroni apprenait le suicide
de l'un de ses enfants. Un jeune Amérindien de 28 ans qui vivait
à Antecume-Pata, père de trois enfants, sans travail.
Depuis le début de l'année, quatre Amérindiens se sont donné la mort ; deux sur l'Oyapock, deux sur le Haut-Maroni. Une tendance qui repart malheureusement à la hausse ces derniers mois. Plusieurs Amérindiens oeuvrant dans le domaine associatif comptaient venir sur le Haut-Maroni au mois de juillet pour lancer une campagne de prévention sur la drogue, l'alcool et les tendances suicidaires. La tournure des événements les a convaincus qu'ils devaient avancer la date de leur voyage. « On n'a pas encore fixé de date, mais on réfléchit. Et on doit réfléchir vite, explique Alain Mindjouk, président de l'association Prévention santé, à Iracoubo. On se réunit entre nous, Amérindiens. Car si on ne se prend pas en main, on ne va jamais s'en sortir ». L'objectif de ce déplacement (financé par leur propre argent) est de sensibiliser les habitants aux conduites addictives, mais aussi de parler de l'identité amérindienne : « Nous voulons réunir les habitants pour parler de notre identité, nos valeurs, pourquoi on boit, on se drogue, pourquoi on se suicide. Nous voulons leur redonner de la dignité ; il faut être fier d'être Amérindien ».
Prendre le problème dans sa globalité
Cette réflexion communautaire, Alexis Tiouka l'appelle de ses vœux : « Les communautés amérindiennes du Canada ont été confrontées au même problème et elles se sont prises en charge, lance l'adjoint à la mairie d'Awala-Yalimapo. Nous devons prendre le problème dans sa globalité en mobilisant les professionnels et que les communautés jouent leur rôle ». Si la commune de l'embouchure du Maroni est moins touchée aujourd'hui par le suicide, elle souhaite créer des échanges, des passerelles entre les communautés. « Nous avons proposé une collaboration avec la municipalité de Camopi, explique Alexis Tiouka. Le maire, René Monerville, a donné son accord et nous allons organiser des dialogues, des échanges sur les raisons du suicide et le mal-être qui règne dans nos communautés. Ensuite, nous pourrons faire des propositions communes ».
Mais au-delà des réflexions communes, Alexis Tiouka regrette les freins qui empêchent les initiatives personnelles dans les villages de l'intérieur, notamment la zone d'accès réglementé (voir carte ci-dessous). « Les jeunes qui souhaitent se former n'ont pas accès à la mission locale, ils ne savent pas comment s'y prendre, il faut décentraliser ce genre de service public. C'est important pour qu'après leur formation, les jeunes retournent dans leur communauté avec un projet de développement. » Certains jeunes tentent quand même de sortir de ce marasme en créant une association, c'est le cas à Antecume-Pata. C'est aussi le cas à Taluen où l'association Kalipo, qui a œuvré à la construction du nouveau tukusipan, propose des formations artisanales aux habitants. Sur le Haut-Oyapock, à Trois-Sauts, des jeunes ont demandé l'ouverture d'une sorte de comptoir pour vendre leurs productions aux touristes. Mais mobiliser les bonnes volontés n'est pas toujours facile.
À Elahé, Akawïpin Apina a fondé avec d'autres l'association Kupun Kohmé Heitei il y a quelques années. Elle vit aujourd'hui à Saint-Laurent et regrette que personne n'ait vraiment pris le relais dans le village : « Cette année, l'association est en veille car étant enceinte, je préfère rester sur le littoral où je travaille. Les jeunes ont du mal à venir d'eux-mêmes dans l'association, il faut toujours être là avec eux. Ils manquent de confiance en eux et du coup ils ne font pas grand-chose d'eux-mêmes. »
La zone d'accès réglementé est située au sud d'une ligne reliant le nord de Camopi au sud de Maripa-Soula. Elle est aujourd'hui en grande partie couverte par le territoire du Parc national à l'exception des terres amérindiennes qui sont exclues de la zone coeur (en vert), protégée de toutes activités humaines extérieures. (illustration DR)
2008 : un passage à l'acte significatif
Le monde Wayana est en deuil, et bien au-delà c'est toute la société guyanaise et la nation française qui se trouvent rappelées à l'ordre par ce drame. Le jeune Kumalé Pleike en qui les Wayanas avaient mis tous leurs espoirs, vient de mettre fin à ses jours dans la nuit de vendredi à samedi. Kumalé Pleike (au premier plan ci-contre à côté du Gran Man lors de la manifestation du 11 mars 2007) siégeait au conseil d'administration du parc amazonien où il représentait les instances coutumières, à la demande du Gran Man Amaïpoti Twenke et des chefs coutumiers du Maroni. Il avait plusieurs fois interpellé la ministre de l?environnement de l?époque Nelly Ollin, qui n?avait pas jugé bon de répondre. Kumalé Pleike avait 28 ans.
Gautier, 15 ans, s'en est allé
Un collégien s'est pendu à Camopi. Au village, personne n'a compris l'acte désespéré de l'adolescent.
À Camopi, jeudi 4 novembre, dans l'après-midi, Gautier, 15 ans, disparaissait dans la forêt. Au bout de cinq jours de recherches, son corps est retrouvé dans la forêt, à 30 minutes de son village. L'adolescent s'est pendu à un arbre avec son tee-shirt. Aux côtés de la famille, parents, élèves et professeurs étaient présents à l'enterrement et à la veillée.
Il y a comme une épidémie de suicides à Camopi. Selon le recensement réalisé par la gendarmerie sur place, 17 tentatives ont été enregistrées, dont 11 ont été fatales, depuis dix ans. Sur ces 11 suicidés, 7 sont des jeunes de moins de 20 ans, dont le plus jeune était âgé... de 9 ans. Adolescent sportif, Gautier était plein de vie. Au village, personne n'a compris ce qui s'était passé. Un Amérindien de Camopi, réagit : « Il ne faut pas que les jeunes pensent que la vie s'arrête à une seule dispute, aux critiques, mais qu'il faut profiter. Il y a tellement de choses à voir. Il ne faut pas laisser la vie décider pour soi, c'est toi qui décides pour ta vie ».
L'avenir pour les enfants de Camopi, après la 3è, n'est pas toujours simple. Soit ils arrêtent leurs études, soit ils quittent leurs parents et leur village pour aller dans une famille d'accueil à Cayenne ou dans un internat catholique à Home Indien à Saint-Georges afin de continuer leur cursus scolaire. Il faut donc s'adapter à tous ces changements. Faudrait-il penser à un programme de prévention communautaire du suicide comme récemment sur le Haut Maroni (programme dont l'objectif est d'améliorer la qualité de vie des adolescents et jeunes adultes amérindiens) ?
Plusieurs psychologues sont venus à Camopi pour réaliser des entretiens approfondis avec les « suicidants » et les proches des victimes. Malheureusement, leur passage est souvent trop court.
Un taux de suicide 11 fois plus élevé que dans l'Hexagone
A Camopi, un Amérindien de 28 ans s'est donné la mort par pendaison dans une gendarmerie. Interpellé en état d'ébriété, il venait d'être placé en cellule de dégrisement. C'est un suicide plus révélateur qu'il n'y paraît.
L'annonce de sa mort a profondément marqué la communauté amérindienne, déjà fortement touchée par les suicides. Les plus forts taux de suicide en Guyane sont enregistrés chez les Amérindiens du Haut Maroni et du Haut Oyapock. En 2006, la rédaction du magazine Oka mag, un bimestriel traitant de l?actualité amérindienne de Guyane française avait réalisé une enquête sur les suicides des Amérindiens du Haut-Maroni. Ils avaient ainsi relevé des chiffres alarmants concernant cette communauté de moins de 1.000 individus : 16 suicides (nombre sans doute sous-évalué, voir première partie de ce dossier) entre 2000 et 2006. Un taux entre 10 et 20 fois plus élevé que dans l'Hexagone. Parmi ceux qui se donnent la mort, plus de la moitié n'ont pas encore atteint l'âge de 20 ans.
« Ceux qui ne s'adaptent pas sont considérés comme des sauvages »
Des drames qui révèlent avant tout un profond malaise chez les Wayanas et les Wayampi de Guyane française. Crise identitaire, sentiment d'exclusion, isolement, sédentarisation. les causes sont multiples. « Il y a des jeunes qui veulent être des Guyanais avant tout. Mais il y a un frein quelque part, de la part de certaines personnes censées les préserver, qui cherchent avant tout à les cloisonner, que ce soit au niveau social ou scolaire. On ne s'intéresse pas aux jeunes de Camopi », déplore Phil Labonté, fondateur du village Palikour de Macoura au micro de Guyane 1ère.
La rédaction d'Oka mag a également réagi sur le sujet. « Malgré les apparences, notre situation sociale, culturelle, sanitaire et humaine est dramatique, écrit-elle sur son site Internet. Nos repères d'antan n'existent plus ou presque plus. Nos enfants sont dans l'obligation de s'adapter à un monde qui n'est pas le leur. Ceux qui ne s'adaptent pas sont considérés comme des sauvages par le reste de la population guyanaise. Ceux qui s'adaptent finissent complètement acculturés car notre culture ancestrale n'est pas mise en valeur dans ce pays ».
Les drames continuent
http://www.okamag.fr/suicide_trois_saut.htm
Un troisième suicide depuis le début de l'année ! Nous venons d'apprendre par la mairie de Camopi et l'ONAG, qu'il y avait eu un nouveau suicide hier soir au village wayãpi de Trois-Sauts. Il s'agit d'une jeune femme d'une trentaine d'années qui s'est pendue !
Nous restons sans voix devant ces drames...
Nous profitons de cette mauvaise nouvelle pour vous faire part d'un texte que nous avons reçus le 29 janvier de la part d'un Teko et que nous n'avions pas encore eu le temps de publier :
« Mes frères et s?urs, nous constatons le monde le nombre élevé de suicides dans notre peuple, comment pouvez-vous faire de tels actes, notre peuple a déjà été décimé assez comme ça. En plus d'abandonner nos cultures et nos traditions vous décidez aussi de mettre fin [à vos vies]. Ce n?est pas une solution, il faut que vous soyez fiers de notre culture, de notre nation, de ce que nous sommes, fiers d'être rouges. Aimez-vous les uns les autres, respectez vos femmes et arrêtez de consommer la drogue que l'homme blanc a amené avec lui, l'alcool qui ne nous a apporté que des problèmes. Faites revivre nos traditions, si vous êtes Wayana, faite revivre le maraké, si vous êtes d?une autre tribu, faite revivre la coutume de votre tribu. N'abandonnez pas vos racines culturelles, votre langue, votre façon de vivre et de penser. Un proverbe dit : « un peuple sans identité et sans culture est comme un arbre sans racines », c'est-à-dire un arbre mort. Le progrès technologique qu'a amené avec lui l'homme blanc ne doit pas être un frein ni un raison suffisante pour abandonner votre identité, les deux sont compatibles, je dirais même plus, cela devrait être une arme pour nous, pour réclamer nos droits et revendiquer notre respect. N'ayez pas honte de qui vous êtes, respectez vos frères qu'ils soient blancs, noirs, jaunes ou rouges, aimez vos femmes et vos enfants, respectez la nature comme nos ancêtres qui l'on toujours respectée. Ne détruisez pas votre propre environnement pour de l'argent, cherchez a développer le pays positivement par les énergies renouvelables et écologiques. œuvrez pour la communauté amérindienne, soyez des chefs spirituels qui sauront guider les jeunes amérindiens qui naitront demain, soyez des exemples qu'ils pourront suivre et dont ils n'auront pas honte. Vous n'êtes pas les seuls à avoir subi le génocide dans notre pays, toutes les tribus d'Amérique l'ont vécu à cause de la cupidité de l'homme capitaliste et de son Dieu l'argent et lor. Soyez des acteurs positifs de votre histoire et non pas des spectateurs passifs de la destruction de notre nation amérindienne. Réclamez vos droits, si on pollue vos terres avec le mercure par le pillage et la destruction de la forêt, demandez de l'argent pour la communauté en dédommagement des préjudices subis sur votre santé et sur la santé de vos enfants afin de développer et améliorer vos conditions de vie, pour acheter du matériel pour purifier l?eau de rivière et des mers avec des machines, cela existe, qui vous permettront d'avoir de l'eau propre. Que l?état nous dédommage en nous donnant de l?argent pour acheter des machines écologiques pour que nous aussi nous ayons de l'électricité grâce au soleil pour alimenter nos maisons en eau chaude non polluée et éclairer nos maisons même dans nos villages. Demandez aux autorités de votre pays la France, des dédommagements financiers pour le travail et la sécurité qu'elle n?est pas capable d?assurer dans vos villages a cause des chercheurs d'or qui polluent votre nourriture, pour que nous puissons acheter et payer pour faire venir de la nourriture de métropole non contaminée. Ne mangez plus le poisson infecté par la mort à cause des chercheurs d'or sinon notre peuple disparaitra, apprenez a élever des poules, des canards, à cultiver des racines qui seront arrosées avec la pluie du ciel. Demandez à l'État français et à son Président et à ses ministres de faire parvenir de la nourriture non polluée par le mercure. Développez le commerce de l'art amérindien, la perlerie, la poterie, le tissage de hamac, devenez guide dans la forêt amazonienne pour les touristes qui veulent des sensations. Qui mieux que notre nation connait notre pays ? Et si la police française ne peut nous apporter la sécurité a cause des étrangers brésiliens chercheurs d'or, organisons-nous et créons notre propre police armée qui sera capable d'arrêter et menotter les chercheurs d'or illégaux et nous les remettrons aux autorités de la France qui seront capables de les juger et de les envoyer en prison. Il n'y a pas de douane aux frontières de notre pays et bien ce n'est pas un probleme, nous allons en créer. Oui, une douane qui contrôlera les identités de chaque piroguier en provenance du Surinam et des pays voisins. Des indentités que nous noterons sur papier, que nous transmettrons par radio aux services de gendarmerie pour contrôler afin de savoir si ce sont des criminels recherchés. Nous avons plein de travail à faire pour notre communauté, pour améliorer nos conditions de vie et ce n'est pas parce que nous vivons dans la campagne ou la forêt que nous sommes des sauvages ou que l'État Français doit nous oublier. Nous allons nous battre ensemble pour nos droits et le respect de notre culture et nous avons besoin de chacun de vous pour être plus forts car plus nous seront nombreux plus nous serons forts et plus nous serons unis ».
Dzawapinim
À suivre...