Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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DÉCOLONISATION ET ASSIMILATION, L'IMPOSSIBLE ALCHIMIE... la chronique d'Olson (5)

19/09/2019

 

 

 

Cet article prend sa place dans une suite de chroniques qui paraissent régulièrement sous la plume d'Olson Kwadjani, un jeune conteur-poète que j'ai invité à venir s'exprimer sur le site « Un Témoin en Guyane ».

 

Olson est un jeune Businenge possédant de la famille des deux côtés du Maroni. Il se déplace au gré de son courant de vie d'une rive à l'autre du fleuve et, par conséquent, il a toute légitimité pour se définir comme libasama, habitant du fleuve, transfrontalier.

 

Son regard affûté de jeune de moins de trente ans lui permet de poser un avis parfois dérangeant mais toujours pertinent sur l'actualité guyanaise et française. Gageons qu'il nous offrira une fois ou l'autre une réflexion sur l'actualité Surinamaise lorsqu'elle viendra interagir sur la vie du bassin du Maroni-Mawina.

 

 

 

 

CONNAISSEZ-VOUS L'INCULTURATION  ? 

 

par Olson Kwadjani

 

Te yu no sabi pe yu e go, yu o doro tra sey...
 
(Si tu ne sais pas où tu vas, tu arriveras ailleurs) 

 

 

860.jpgLes mobilisations sociales ultra-marines initiées en novembre 2008 en Guyane, étendues jusqu’en mars 2009 dans les trois départements français d’Amérique puis à Mayotte en 2011 et 2016, jusqu’à la mobilisation massive de mars-avril 2017 en Guyane ont clairement laissé apparaître le malaise et la relation ambiguë liant ces départements à la métropole. L’emploi du terme « métropole » pour définir le lien d’appartenance et d’identité est d’ailleurs problématique en soi.

Plus grande autonomie mais demande d’État-providence et revendication d’une véritable égalité (politique ? économique ? culturelle ?) avec la métropole : ces mobilisations questionnent le caractère décolonisé de ces territoires et nous interpellent au sujet d’une possible autonomie décisionnelle. Un théorème, à l’intersection de la politique et de l’économie, indique que « qui paie contrôle ».

 

 Quid de la décolonisation dans ce contexte ?

Les quatre « vieilles colonies », mais pas seulement, manifestent dans la période contemporaine les tensions inhérentes aux relations coloniales entre le centre et ses périphéries, entre assimilation et différences, entre culture centralisée et particularités. Entre DOM ou DROM, COM et autres POM, on peut noter une tension permanente et paradoxale qui oppose spécificités locales revendiquées et désir ambitionné d’égalité fusionnelle.

 

C'est quoi, l'assimilation ?

Tout d'abord, c'est une mystification

861.jpegUn jour (raconte Aimé Césaire en 1935), un Nègre s’empara de la cravate du Blanc, s’en affubla et partit en riant... Mais le Nègre se laissa prendre au piège : il s’habitua si bien à la cravate qu’il finit par croire qu’il l’avait toujours portée ; il se moqua de ceux qui n’en portaient point et finit par renier son père qui refusait toujours d’en porter une. Puis le Nègre fréquenta l’école des Blancs, tant il voulait être semblable aux Blancs ; en fait, il souhaitait être assimilé. Et le Blanc lui dit : « tu es semblable aux Blancs, tu es assimilé ».

Les enfants du Nègre se mirent alors à réfléchir à la notion d’assimilation pour s’apercevoir que c’était là un dangereux engrenage, pour le colonisateur comme pour le colonisé.

Le colon blanc qui avait assimilé le Nègre se dégoûta vite de son œuvre : la copie n’étant qu’une copie, il eut pour elle le même mépris que pour le singe et pour le perroquet. Il en fut de même pour le Nègre : une fois semblable au colon, il ne comprit plus le mépris que celui-ci lui portait et il se mit à le haïr.

Le maître veut toujours rester le maître, explique Césaire, quand le serviteur a cessé d’être le serviteur. L’assimilation porte en elle des germes de lutte ; lutte du même contre le même, c’est-à dire la pire des luttes.

Consulter : https://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2013-5-page-246.htm

 Ensuite, c'est une imposture

Selon Jean Memmi,  le privilège est une « affaire relative », c’est-à-dire que tout colon est privilégié, comparativement, au détriment du colonisé. Sans différence entre les deux, où serait le privilège ? Il apparaît donc que le colon a besoin du colonisé qui justifie son existence et en témoigne.

Partant de ce constat, le colonisé n’a plus ni choix ni alternative.

862.jpgS’il veut s’élever, il ne peut que s’assimiler pour devenir semblable à l’autre, le colon. Il lui faut donc nouer la cravate autour de son cou. Il s’agit donc en quelque sorte d’une usurpation (d’identité ?), ce que Memmi nomme le Syndrome de Néron. Cette usurpation a pour objectif de faire changer le colonisé de condition en le faisant changer de peau. Un modèle s’impose rapidement à lui puisqu’il est tout proche : le Blanc. Il jouit de tous les biens, croit-il, mais surtout du prestige. Richesses et honneurs souvent, autorité toujours. Par sa hauteur, il lui rend évidente sa propre bassesse. Dès lors, le colonisé n’a plus d’autre désir, pour égaler ce modèle, que de lui ressembler : vêtements, biens de consommation tels que tablettes, portables et fringues de marque, jusqu’à remplir son caddie de SuperU des mêmes produits. C’est sans doute ce que le tirailleur Banania aurait désiré se payer s’il l’avait pu.

En savoir plus : Portrait du colonisé, précédé de Portrait du colonisateur,   Memmi Jean, Petite bibliothèque Payot, 1957

Pour autant, est-ce vraiment une fracture ?

864.jpgRetournons aux fositen les premiers temps, et aux loweten, les temps des luttes pour rester en vie, et voyons ce qui seul, en des temps où les combattants d’un seul côté savaient lire et écrire, pouvait garantir la confiance et le respect des engagements et de la parole donnée : le sweli. Le sweli (mot créolisé venant de l’anglais to swear, jurer) avait comme fonction de transformer les Humains et les relations qu’ils entretenaient, selon un raisonnement fort simple : « je ne t’aime pas, tu ne m’aimes pas. Mais ni toi ni moi n’avons d’autre choix que de nous faire mutuellement confiance ». Accompagné d’un rituel fort, ce serment échangé faisait « autres » les ennemis d’avant. Non pas amis, non pas semblables, mais « autres » aux destins liés. On voit bien, ici, que le salut des uns et des autres ne dépendait pas d’une fusion de l’un dans l’autre (le plus souvent du petit dans le grand, le colonisé se percevant comme étant celui qui devait se fondre).

Marronner, c’est comprendre. Le Nègre-Marron résiste, comme il a résisté dans les temps où la nécessité de survie n’autorisait ni le relâchement, ni l’assimilation par celui qui ne lui voulait aucun bien. Naturellement, les temps ont changé mais cet héritage le danger assimilationniste subsiste : le Nègre assimilé porte un masque blanc… et passe ainsi du statut de Nègre à celui de « Noir à cravate ». Le Nègre-Marron n’oublie pas, à l’instar de Césaire, que si noir est une couleur, Nègre est une identité. C’est son héritage phylogénétique : il résiste.

863.jpgCessez d’obéir, écrivait La Boétie, et vous voilà libres. Oui, mais un danger aussi redoutable que le fouet du colon menace le Nègre s’il est toujours en marronnage : la consommation. Caddies de supermarché, tablettes, smartphones, look planétaire, etc. Dans une précédente chronique, j’écrivais : « c’est la société des Blancs qui offre tout ça, alors pourquoi n’en profiterions-nous pas au même titre que les Blancs ? » Bakra sa pay,  tant il est vrai qu’en faisant comme les riches on se sent riche, et qu’en faisant comme les Blancs on se sent…  Deux cent cinquante années de marronnage pour en arriver là !

Oui, mais le Nègre-Marron a deux atouts qui changent tout : si le superflu vient à manquer, il peut se contenter du suffisant. En outre, il peut sans hésitation ni honte critiquer le système installé par le Blanc... tout en en profitant. C’est là son privilège et la faille du système assimilationniste. Gbolon !

O.K.

 

 

Retrouvez bientôt la prochaine chronique d’Olson sur Un Témoin en Guyane


19/09/2019
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