SURINAME : IL N'Y A PLUS DE BAMI...
09/01/2023
Qui n’a pas mis les pieds au dégrad Charbonnière depuis le début de la pandémie de covid ne peut que remarquer un changement indé-niable dans le secteur situé entre le Port maritime et le village Balaté. Là, sur cette grande étendue de sable entre les maisons pentues de la Charbo et le fleuve, là où se réglaient les tractations entre piroguiers transporteurs et personnes désirant traverser (ce qui représentait de petits groupes de deux à quatre négociateurs), c’est désormais marché tous les jours, un marché abondamment fréquenté… Des centaines de personnes vont, viennent, se rencontrent, discutent avec une bière ou un joint à la main, vendent, achètent, font entendre ou écoutent du reggae…
Des enfants ou des adolescents poussent des brouettes remplies de denrées achetées à SuperU et qui emplissent des coffres de voitures entiers. Le contenu de ces brouettes sera chargé sur des pirogues qui iront transborder ces marchandises sur la plage d’Albina où elles seront réceptionnées.
Dans l’autre sens, le gazole et l’essence de voiture en provenance du Suriname vont prendre dans ces mêmes brouettes la place des sacs de riz et du poulet congelé pour en retour être entreposés dans les caves ou hangars des rues adjacentes, où chaque propriétaire de voiture pourra emplir son réservoir pour quarante euros au lieu de soixante-quinze ou quatre-vingts. Nul besoin d’être spécialement informé pour bénéficier de ce prix attractif, les files de voitures arrêtées là tout comme les jerricanes posés sur les trottoirs et embouchés d’entonnoirs sont suffisamment éloquents.
L’essence à bas coût n’est certes pas une nouveauté dans l’Ouest. Je me souviens avoir remarqué depuis toujours des voitures de services administratifs (que vous me dispenserez de nommer ici) gavées de ce carburant économique… et transfrontalier. Ce qui me semble nouveau – et significatif – c’est l’installation de ces stations-essence drive-in.
Quelles sont les causes de tels changements ?
Ou plutôt : comment en est-on arrivé là ?
Dans son rapport de 2002 intitulé Crime and Security Report la CARICOM déclare : « Il n’y a pas de plus grande menace pour la société civile, dans les pays de la Caricom, que le problème de la drogue ; et rien n’illustre mieux l’impuissance des gouvernements régionaux ».
La faiblesse de la gouvernance et des institutions permet aux forces criminelles d’infiltrer plus facilement le gouvernement et les institutions privées. L’augmentation de la corruption institutionnalisée va de pair avec une augmentation de la production de drogue et de la criminalité liée à celle-ci. Les acteurs sont des réseaux criminels nationaux et internationaux, dont les crimes (blanchiment d’argent, enlèvements, vendettas et extorsion) sont liés au circuit de la drogue, mais englobent aussi la fraude, le jeu, la prostitution, la pornographie enfantine et le trafic d’enfants. Les réseaux criminels sont très bien organisés et génèrent d’énormes profits qu’ils réinvestissent à la fois dans des activités licites et illicites. Les membres de ces groupes se protègent en infiltrant des organisations légitimes, en corrompant et compromettant ainsi l’ordre légal. Ceci a des effets désastreux sur le tissu social. Non seulement l’exportation de drogue (cocaïne) est croissante, mais l’abondance de cette offre entraîne une croissance exponentielle de la demande à l’importation en Europe et en Amérique du Nord. De plus, les modes de consommation et les styles de vie des barons de la drogue séduisent les jeunes marginaux. Enfin, il n’y a pas d’investissement dans les institutions chargées de l’application des lois et de la sécurité, ni de législations adéquates pour combattre ces nouvelles formes de criminalité.
Et pourtant…
Le Suriname est riche en ressources naturelles, cependant 80% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté. Les inégalités économiques ont désormais plus que doublé depuis l’indépendance (1975).
Regardons un peu l’évolution du taux de change euro/Suriname dollar en trois ans :
- Déc. 2019 : 1 € = 8,25 SRD
- Déc. 2020 : 1 € = 12 SRD
- Déc. 2021 : 1 € = 22 SRD
- Sept. 2022 : 1 € = 25 SRD
- Jan. 2023 : 1 € = 33,65 SRD
Bien sûr, c’est là le taux officiel. Dans la rue, à Albina, c’est autre chose.
Un ressortissant surinamais tentait de m’expliquer la situation, ces jours-ci : « Il n’y a plus rien à acheter chez nous, à part quelques racine, et encore… les gens qui ont un abattis gardent leur récolte pour eux. Il n’y a plus de bami[2], car à les machines à former les nouilles sont tombées en panne et l’entreprise locale n’a pas l’argent pour les remplacer ou même les réparer »…
Le bami est souvent la nourriture courante au Suriname, l’équivalent du MacDo pour les jeunes, notamment, qui mangent ça en guise de repas comme à Kourou ou à Cayenne. Les Guyanais mangent des hamburgers. MacDo ou KFC n’ont pas flairé la bonne affaire ? La clientèle les attend !
« Chez nous, rien n’est subven-tionné, ce n’est pas comme chez vous. Il n’y a plus d’argent au Suriname ».
C’est sans doute pour cela qu’Albina est devenue un quartier de Saint-Laurent, à présent. On y vient pour faire ses courses, c’est juste un peu plus loin de chez soi, il y a le fleuve à traverser.
Je me pose alors la question de la soi-disant cherté du coût de la vie en Guyane. Le privilège d’être des citoyens subventionnés (aides sociales comme RSA ou allocations…) n’est-elle pas la contrepartie de notre maintien en dépendance économique, sociale et politique ? L’immaturité politique à laquelle nous nous soumettons avec bonheur, nous y consentons bien volontiers, puisque le colon paye…
Mais… pas de subventions pour le carnaval ? Voilà que les enfants gâtés invectivent…
Regardons nos voisins surinamais… remémorons-nous l’histoire d’il y a trente-cinq ans : entre huit mille et neuf mille réfugiés, pardon, personnes provisoirement déplacées du Suriname (les fameux PPDS) sont arrivées en Guyane pour fuir la guerre. Désormais, la vague « migratoire » pourrait être moins visible, plus rampante, afin de fuir la misère voire la faim… mais tout aussi importante.
Nous, enfants gâtés de ce continent sud-américain, devrions exiger de nos dirigeants une politique solidaire de développement envers notre voisin-cousin le Suriname, à condition… que celui-ci se dote de dirigeants intègres... ce qui se fera uniquement sous la pression internationale.
OKwadjani
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