LA GUYANE EST-ELLE FRANÇAISE OU AMAZONIENNE ? la chronique d'Olson (4)
07/09/2019
Cet article prend sa place dans une suite de chroniques qui paraissent régulièrement sous la plume d'Olson Kwadjani, un jeune conteur-poète que j'ai invité à venir s'exprimer sur le site « Un Témoin en Guyane ».
Olson est un jeune Businenge possédant de la famille des deux côtés du Maroni. Il se déplace au gré de son courant de vie d'une rive à l'autre du fleuve et, par conséquent, il a toute légitimité pour se définir comme libasama, habitant du fleuve, transfrontalier.
Son regard affûté de jeune de moins de trente ans lui permet de poser un avis parfois dérangeant mais toujours pertinent sur l'actualité guyanaise et française. Gageons qu'il nous offrira une fois ou l'autre une réflexion sur l'actualité Surinamaise lorsqu'elle viendra interagir sur la vie du bassin du Maroni-Mawina.
CONNAISSEZ-VOUS L'INCULTURATION ?
par Olson Kwadjani
Ou encore, ne confondons-nous pas la nationalité et l'identité ?
Il y a quelques années, en 2013 très exactement, la France lance une campagne de régularisation de l’état-civil sur la rive droite du Lawa (appellation du Maroni entre Grand-Santi et Maripasoula). Dans ce cas particulier, cette démarche s’accompagnait de l’attribution de la nationalité française. Sans nous attarder sur cette péripétie, nous dirons simplement deux choses.
La première, c’est qu’elle entraîna un désaccord profond entre les élus politiques locaux (les maires), et les autorités coutumières (les kapiten), un désaccord qui fut cause que l’équipe municipale en place à Papaïchton perdit les élections en 2014.
La seconde, c’est que cette pratique d’assimilation avait pour alibi l’indivisible unité de la république française qui prend ici le pas sur la réalité des lieux – véritables – de naissance et de vie.
Mystification ?...
Les « étrangers », celles et ceux qui ne sont pas des « citoyen(ne)s françai(se)s, deviennent par les faits, différents même des membres de leur propre clan ou famille biologique et ne jouissent jamais des mêmes droits : pas de droit au travail sans carte de séjour, des formalités plus que dissuasives pour en obtenir une, des salaires de misère et non-déclarés et des difficulté à se loger lorsque l’on quitte le village ou le kampu vous condamnant sans appel aux « habitats spontanés de la périphérie de Saint-Laurent. Pour toutes ces raisons, c’est à eux qu’on attribue la responsabilité des faits de délinquance qui explosent, dit-on.
Des représentations... erronées, vraiment ?
Écoutons un peu ce que disent « les gens », autour de nous, dans la rue...
« Marre de l'insécurité...
- L'État pille nos ressources et nous prive de notre patrimoine...
- C'est la France qui décide à notre place...
- Il y a trop d'étrangers...
- Nous sommes invisibles...
- Il faut une évolution statutaire...
- Etc. »
En fait, on trouve principalement deux thèmes évoqués dans ces expressions, le premier dirigé contre les étrangers, très ordinairement identifiés comme mettant en danger la sécurité des citoyens… nous ? En fonction des situations évoquées, ces étrangers indésirables peuvent être, au gré de l’actualité, des Brésiliens (tous des garimpeiros, la France ne met pas les moyens pour éradiquer l'orpaillage), des Surinamais (tous des voyous et des voleurs, on n’a pas assez de policiers) ou des Haïtiens (tous des bouffeurs d’aides sociales et de subsides de l’État, sur nos impôts). Dans tous les cas, ce thème redirige vers le second : la mise en cause de l’État centralisé, considéré selon les cas comme indifférent, complice ou incitateur. Bref, c’est l’État colonial, d'où une demande de plus en plus fréquente d'évolution statutaire.
Il y a déjà deux ans, le 28 mars 2017, le peuple Guyanais toutes cultures confondues s’insurgeait contre l'insécurité, le néocolonialisme ambiant, l’exploitation de ses ressources, la dépossession de ses patrimoines et la privation d’un avenir qui reste à définir par lui-même. Il a fini cependant par arracher l’Accord de Guyane le 21 avril 2017, après un mois et demi de bras de fer avec la République... Rappelons-nous l'argument sans cesse utilisé : «C'est la République qu'on attaque !» dès lors que le peuple n'accepte plus les conditions d'un traitement indigne.
Coloniale, la France ?
Divers éléments nous apportent, sinon des réponses globales, du moins des éléments :
- Deux ans après, que sont devenus les Accords de Guyane ?
- Les premières réponses à avoir été données par le gouvernement central il y a deux ans concernaient l'appareil répressif : Une nouvelle prison dans l'Ouest, un nouveau commissariat, promesse d'un renforcement des effectifs de police...
- Un certain nombre des promesses tenues avaient déjà été budgétées auparavant, notamment des travaux de rénovation pour l'accueil au CHAR...
Deux ans après, que sont devenues les revendications des Guyanais ?
Il y aurait bien une ambiguïté, alors, mais où se trouve-t-elle ?
Comme l'explique l'un de nos deux députés, « en effet la Guyane est amazonienne par ses réalités géographique, humaine, faunistique, floristique, etc. Cependant on ne peut nier ses liens historiques, administratifs, juridiques et économiques avec la France et l'Europe. Je reconnais que souvent dans nos réactions, il y a une forte dose de contradictions que nous avons du mal à assumer. L'une des voies pour s'en émanciper réside dans la déclinaison du projet de société qui nous permette de porter sur nous-mêmes un regard sans complaisance et basé prioritairement sur le respect de nos réalités. Les nier c'est nous enfermer irrémédiablement dans l'échec et c'est justement vers quoi nous rendons dans le cadre statutaire actuel ».
Si l'on écarte les étrangers, migrants installés ou de passage, on pourrait les identifier en trois groupes (non cités ici par ordre d'importance) :
- Les Créoles (auto-déclarés guyanais),
- Les Français de souche guyano-surinamaise (FSGS),
- Les Métropolitains (Métros).
La qualité de « Guyanais » peut-elle être accordée à tous ? Ce sera l'objet d'un autre débat, peut-être d'une autre chronique. En effet, les réponses risquent d'être induites selon le groupe dont émane l'individu qui répond, selon l'engagement politique et social ou d'autres raisons qu'il est inutile d'évoquer ici.
Pour clore cette chronique mais non ce débat, je souhaite vous entretenir d'une problématique liée au centre hospitalier de Solan (CHOG, Centre hospitalier de l'Ouest guyanais).
Le nouvel hôpital a vu le jour, à la grande satisfaction de beaucoup. Je souhaite parler de la maternité. L'an passé a vu 2960 naissances, soit en moyenne plus de 245 par mois.
Avec ses 89 lits on se demande si le nouveau service sera capable d'assurer sa mission en toute sécurité... Oui, me répond-on, c'est parce que les femmes surinamaises viennent accoucher de ce côté-ci. Passons sur un certain nombre de réactions ou d'explications qui devraient donner la honte à ceux qui les profèrent, mais qu'à cela ne tienne, il fallait un autre hôpital à Albina (sur la rive surinamaise).
Bingo ! Un coût d'investissement de 144 millions d'euros a été acté pour le nouveau CHOG, dont 47,5 millions d'euros d'aide de l'AFD (Agence française de développement), pour une population de près de 100.000 habitants sur la rive française. L'AFD a financé également à hauteur de 15 millions d'euros (dirigés vers le gouvernement du Suriname !...) la construction du nouvel hôpital d'Albina. Solidarité internationale ? Peut-être. Mais sans projet, sans étude de faisabilité, bref, de l'improvisation. Les naissances dans l'établissement d'Albina pour ces trois derniers mois se comptent sur les doigts de la main.
Que dire de plus ? Comment se désengager d'un système qui étouffe en arrosant ? Comment gagner en reconnaissance de ce que nous sommes, en dignité, tout en continuant de recevoir ce que nous avons, pardon, ce que l'État colonial nous octroie ? Pourtant, gagner notre reconnaissance de spécificité nous donnerait une force commune qui nous ferait lever tous ensemble comme en mars 2018, à condition que nous n'acceptions plus de nous rasseoir en pleurant indéfiniment notre soumission...
En attendant, Bakra sa pay et y'a bon Banania...
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