LES BONNES, PIÈCE DE JEAN GENET, PRODUCTION KS & CO
10/11/2013
Une mise en scène d'Ewlyne Guillaume
Superbe !
Nous avons assisté vendredi soir à la représentation des Bonnes de Jean Genet, à la Case-Théâtre n°8 du Camp de la Transportation. Choc ! Une fois encore le travail d'Ewlyne Guillaume nous a enthousiasmés.
Les Bonnes, pièce en un acte, un décor minimaliste mais peuplé d?objets signifiants, trois comédiens sur scène : les élèves du Théâtre-école fondé par la compagnie KS & Co, co-dirigée par Ewlyne Guillaume et Serge Abatucci.
Il faut préciser ici que le choix de la distribution (casting, comme on dit maintenant !) peut sembler iconoclaste : deux comédiennes noires (les deux s?urs, les bonnes) et un comédien mâle dans le rôle de Madame. Genet lui-même pourtant permettait ce choix de combiner les sexes librement : trois femmes, trois hommes, deux hommes et une femme, deux femmes et un homme). En outre, d?autres avant Ewlyne ont « joué » sur l?ethnicité des comédiens : en 1963 Jean-Marie Serreau a monté Les Bonnes à Paris avec trois comédiennes noires, tirant ainsi la pièce vers une peinture coloniale de la servitude. Jandira Bauer, d?origine brésilienne, a présenté sa lecture des Bonnes inspirée par le vaudou : ses personnages sont habités par les esprits, les deux bonnes sont habillées en blanc et la musique qui vient rythmer certains moments forts du texte vient du candomblé.
Le théâtre de Genet est fait d?outrance et d?excès. Il ne se complaît pas dans le médiocre. Les sentiments ordinaires n?y ont pas leur place. Les vertus, surtout, n?existent pas. Il n?y a pas d?amour sans haine, de respect sans moquerie, de modestie sans orgueil, d?attention sans dérision. [?]
Même si le spectateur non averti n?en a pas exactement conscience ? en tout état de cause l?argument précis des Bonnes est difficilement accessible au spectateur qui n?a pas une connaissance préalable du texte -, le décor comme la mise en scène le conduisent vers une interprétation de ce genre. Le décor n?est en aucune manière une chambre à coucher, c?est un lieu à moitié vide jonché d?objets hétéroclites et les apparitions de Madame, hors contexte, au début comme à la fin de la pièce, confirment l?impression que nous nous trouvons dans un univers où les règles de la physique ordinaire ne sont plus applicables.
Selim Lander, critique, membre de l'AICT
La rencontre d'Ewlyne Guillaume et de Serge Abatucci les conforte tous les deux dans leur vision du monde et de l?acte artistique. Les problématiques politiques du théâtre antillais : « un théâtre noir ou un théâtre blanc ? » les troublent. La sensation très aigue pour Serge d?assister à un ressassement de la question identitaire les amène à développer un projet artistique basé sur la diversité et le lien entre les cultures du monde. Ils mènent tous deux depuis plus de vingt ans une réflexion (et un combat ?) qui les a amenés à construire des projets qui depuis se sont institutionnalisés :
- Une compagnie en résidence : KS & Co
- Une scène conventionnée : Kokolampoe
- Un festival : les Tréteaux du Maroni
- Un théâtre-école ; travail initié en 2011, concrétisé en janvier 2012 par la signature d?une convention multipartite pour la création d?un théâtre école pour la formation aux arts et techniques de la scène : Le T.E.K. C?est une formation pluriannuelle qualifiante, ciblant tous les métiers de la scène, dispensée à raison de 30 heures hebdomadaires
« J?ai voulu explorer au travers de ce texte l'énigme du non-être. Les deux sœurs souffrent de la maladie de l'être. Ni hommes, ni femmes : des monstres, elles étouffent d'aliénation : elles n'existent que pour et par autrui, elles sont réduites à l'état d'objet » (Notes de mise en scène E. Guillaume).
Les Bonnes : Solange : Kimmy Amiemba, Claire : Mirmonde Fleuzin
Madame : Augustin Debeaux
Création scénographique : Pierre Mêlé
Assistants : les élèves du TEK
Création lumière : Frédéric Dugied
In petto du Témoin : Je ne peux pas me priver ici (mais sortons pour un court instant du domaine strictement théâtral), de livrer ma réflexion par rapport à un livre récemment paru, écrit par un « spécialiste » du peuple Saamaka qui, si l'on veut bien lire entre les lignes, semble défendre une vision quelque peu... tribaliste selon laquelle le peuple Saamaka, pour survivre, devrait se replier sur lui-même en son pays? De toute façon un Saamaka n?est pas intégrable sauf à perdre son âme?
Pourquoi j'évoque cela ? Les comédiens de KS & Co sont en grande majorité Saamaka, de langue maternelle saamakatongo. C'est le cas de l'une des deux sœurs de cette production des Bonnes de Genet.
Alors, repli communautaire ? Pas pour elle. Elle garde sa langue mais parle un français de qualité, chaque mot prononcé sur scène est compréhensible. Le débit de sa parole obéit à un phrasé rigoureux (on peut dire cela de l'autre comédienne également). Elle garde sa culture mais s?engouffre avec délectation dans de nouveaux répertoires. C?est ça, l'interculturalité !
Prochaine représentation : vendredi 15 novembre
salle polyvalente de Mana, 20 heures.
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