Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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LES CULTES DE POSSESSION MASCULINS DITS D'INVULNÉRABILITÉ

31/12/2012
 

Du mal-être et de la souffrance psychique chez des jeunes originaires des communautés Businenge du Bas-Maroni

 
 

La présente note ne concerne que les cultes masculins ; d'autres types de sorcellerie et culte du genre « Baklu » (ou Bakru) essentiellement à destination des femmes sont déjà bien décrits par la littérature ethnologique.

3355506-4818366.jpgDe nombreux jeunes originaires des quartiers et kampu de la vallée du Maroni désœuvrés ou en errance, ou encore séduits par la valorisation d'appartenir à un groupe culturel/ traditionnel s'attachent à des initiations parfois mal dirigées et mal vécues, pouvant engendrer des troubles comportementaux condui-sant quelques fois à la violence, à l'addiction et/ou une souffrance psychique chronique. Les Groupes d'Entraides-Mutuelles (GEM) mis en place il y a près de 15 ans par Mama Bobi tendent à écouter, comprendre, accompagner ces jeunes par l'intervention appuyée et soutenue d'une pair-aidance structurée par l'encadrement de thérapeutes traditionnels reconnus par la communauté.

 
Les cultes de possession masculins dits « d'invulnérabilité ».

Les cultes, très nombreux trouvent leurs origines dans l'Histoire du Marronnage ; ils ont été remis en activité lors des événements qui ensanglantèrent le Surinam entre 1986 et 1991 ; conflit opposant des groupes de rebelles originaires des communautés Businenge et leurs alliés dans l'Est Surinamais (et l'intérieur du pays Saamaka) à l'Armée Nationale Révolutionnaire de l'Etat Surinamais (et ses unités supplétives) ; ces dernières, souvent composées d'Amérindiens ; ce conflit a fait plus d'un millier de morts ; du côté du « Jungle commando », il s'agissait essentiellement de jeunes hommes armés de fusils à pompe et de l'idée qu'ils se faisaient d'eux-mêmes à travers ces cultes ravivés pour ces occasions guerrières sans grande idéologie autre que l'attrait des combats ; les origines politiques, économiques, culturelles du conflit sont 20 ans après, toujours en débats.

Ces cultes, dit d'invulnérabilité, sont pour certains désormais bien connus et parfois décrits par la littérature ethnologique (cf Note biblio.). Il s'agit, pour la grande majorité d'entre-eux, de cultes dits « Krumanti » Cette culture (dont les origines se situent en Afrique de l'Ouest) a occupé l'espace magico-religieux dans les communautés marronnes sur plusieurs siècles et jusqu'à aujourd'hui. Elle comporte de très nombreux aspects en relation avec un panthéon et un univers d'esprits incorporables, possédant leur langue, leurs coutumes propres et modes de fonctionnement individuels et collectifs. Ces comportements correspondent à des choix selon des situations particulières et s'enseignent lors d'initiations parfois longues et pénibles, tout au long de la vie. Ils concernent de nombreux adolescents ayant pour la plupart décroché de la scolarité dès l'âge de 15/16 ans. Les « Basi fu Krumenti » (les initiateurs) sont en général des hommes très respectés et sollicités pour des interventions « musclées » et/ou autoritaires lors de différends sociaux, médico-magiques ou autres ; notamment lors des crises dites de « Bakru » (Cf. sur ce même blog l'article du 8 novembre dernier : « WINTI, un syncrétisme afro-surinamais ») propres à des cultes féminins également très populaires et très actuels. (Cf. note bibliographique).

Une très riche pharmacopée est classifiée Krumenti. Des bains spécifiques, lors des initiations, des chants, des rythmes tambourinés distinguent les séances de possession ritualisées souvent très spectaculaires. Les impétrants sont soumis à des rituels à grand renfort de « preuve d'invulnérabilité » aux balles, coups de sabre, ou au feu lors de marche sur des tessons ou charbons ardents.

 


Il s'agit de cultes institutionnalisés qui valorisent leurs adeptes en leur procurant l'assurance d'une appartenance à une élite avec signes de reconnaissance et engagements à des prises de risques et passages à l'acte sous le mode collectif. Ces cultes permettent l'établissement de bandes et de groupes dans les villages et quartiers souvent impliqués dans le banditisme organisé et la délinquance. D'autres cultes sont beaucoup plus obscurs, souvent cachés et exercés sous couvert du secret en des lieux connus des seuls initiés et en des circonstances exceptionnelles.

La guerre civile du Suriname a exacerbé ces cultes auprès des combattants et en général tous ceux qui puisaient dans les croyances magico-religieuses, une motivation à l'usage de la violence et des armes dans la vie quotidienne. Ces cultes, parfois très anciens, et d'autres de restructuration plus récentes se sont multipliés ci et là sur les rives du Maroni entre septembre 1986 et le début des années 1990.

Les plus dangereux et très vite réputés tels, sont ceux qui engagent les adeptes en des serments à vie avec des contraintes (secrets, tabous inviolables) redoutables ; ces cultes dits « sweli » (de to swear : jurer en anglais) ont repris les Grands Obia (sciences magico-religieuses du Marronnage) en les amplifiant souvent de rites et d'engagements personnels irrémédiables et à la base de modifications comportementales irréversibles propres à la manipulation mentale et au fanatisme psychique conduisant donc à des passages à l'acte sur le mode impulsif difficilement maitrisable.

D'autres encore (plus ou moins bien décrits par les observateurs privilégiés à cette époque du conflit) ont pour but essentiel de galvaniser les combattants, mais n'engagent pas le psychisme au-delà des stratégies guerrières du moment.

D'autres enfin, tel le culte Dyogo roba ou Anpuku sont héritiers de cultes de chasse souvent bien structurés et dont les origines africaines et/ou amérindiennes sont indentifiables, moins liés à la possession ou l'incorporation d'Esprits ou Divinités Guerrières qu'à des sciences cynégétiques très anciennes. Ces cultes basés sur une grande connaissance du milieu de la faune et des ses habitats se pratiquent comme des parties de chasse transposées aujourd'hui en milieu urbain ou suburbain voire jusqu'en les grandes métropoles en Europe. Ces cultes dits de « précaution » impliquent une utilisation des ressources naturelles de la forêt et/ou des savanes pour « avancer » et se « mouvoir » au milieu de prédateurs et/ou gibiers aujourd'hui identifiés à des ennemis divers (forces de l'ordre, autorités, ou autres). A l'image des autres cultes mentionnés ici ces pratiques exigent une discipline rigoureuse à grand renfort de bains rituels, ports d'amulettes, apprentissage de gestes et attitudes codifiés. Très prisées à l'heure actuelle par les ados du bas-Maroni et particulièrement dans les quartiers spontanés et kampu comportant une forte population jeune, oisive ou en errance.

 


 

Selon des enquêtes internes à Mama Bobi, de nombreux jeunes, actuellement incarcérés, sont passés par l'un de ces cultes qui se poursuivent à l'intérieur du Centre Pénitencier de Rémire-Montjoly et de la Prison Centrale de Paramaribo ainsi que dans certaines Centrales aux Pays-Bas ou en France.

 
 
Notes bibliographiques :

Thoden van Velzen : 1990 « The Maroon Insurgency: anthropological reflections of the Civil War in Suriname »

1994 "Priests, spirit médiums, and guerrillas in Suriname"

Polime, T.-S. et Thoden van Velzen : 1988 « Vluchtelingen, opstandelingen en andere Bosnegers van Oost-Suriname, 1986-1988. »

Vernon, D. : 1993 « Choses de la forêt : identité et thérapie chez les Noirs-Marrons Ndjuka du Surinam » Paris, l'Harmattan.

1985 « Bakuu, mal moderne. Un culte de sorcellerie chez les Marrons Ndjuka du Suriname », Paris, mémoire de l'EHESS.



31/12/2012
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