MARÉES NOIRES AU COEUR DE L'AMAZONIE PÉRUVIENNE
28/02/2016
Sources :
http://www.courrierinternational.com/
https://ambienteindigena.wordpress.com/
La rupture d’un important oléoduc péruvien a entraîné une fuite de pétrole brut, polluant plusieurs rivières. L’équivalent d’au moins 3 000 barils se serait déversé dans cette région amazonienne.
Des fuites de plusieurs milliers de barils de pétrole brut, dans la nuit du 16 au 17 février, puis le 19, ont pollué deux rivières « dont dépendent au moins 8 communautés autochtones », rapporte BBC News. Le ministre de la Santé péruvien a déclaré l’urgence sur la qualité de l’eau dans cinq districts.
Selon la compagnie d’état Petroperu, c’est un glissement de terrain qui a endommagé l’oléoduc Norperuano (le plus grand du Pérou, qui transporte le pétrole depuis l’Amazonie jusqu’à l’océan Pacifique), déclenchant la première fuite. Les raisons de la seconde ne sont pas encore éclaircies. Petroperu s’est engagé à nettoyer et à fournir en eau et en nourriture les riverains touchés. À la suite de ces fuites, le transport de 6 000 barils de pétrole brut par jour a été stoppé.
Drôles de pratiques : German Velasquez, le patron de Petroperu, a nié que la compagnie ait payé des enfants pour nettoyer cette marée noire, mais il envisage le renvoi de quatre dirigeants qui auraient autorisé des enfants à collecter l’huile, selon BBC News. Selon certaines sources, en effet, en l’échange de sommes dérisoires, l’entreprise aurait sollicité les communautés autochtones locales pour effectuer des opérations de récupération du pétrole. Sans plus d’information. C’est ainsi qu’à l’aide de seaux et sans aucun équipement de protection, des enfants auraient participé aux activités de nettoyage des rivières polluées proches de leurs communautés.
« Je ramassais le pétrole avec mes mains dans un petit seau. J’y suis resté toute la nuit, puis je suis rentré à la maison. Avec un seau rempli. Pour ça ils m’ont payé 3 soles (0,80€) », raconte un enfant de la communauté native de Nazareth.
La plupart présentent aujourd’hui de graves symptômes : maux de tête, irruptions cutanées sévères, diarrhées, difficultés respiratoires. Une situation particulièrement alarmante dénoncée par de nombreuses associations de défense des droits de l’Homme au Pérou, y compris l’UNICEF.
Petroperú a d’abord nié les faits. Dans le cadre d’un reportage télévisé diffusé récemment par le programme d’investigation PANORAMA, un de ses salariés a reconnu avoir rémunéré des enfants ayant rapporté des seaux rempli de pétrole. Face à l’évidence, l’entreprise a annoncé qu’elle ouvrirait une enquête pour établir les responsabilités. En 2014, lors d’un précédent déversement pétrolier, l’entreprise avait déjà été condamnée pour des faits similaires.
Ce nouvel accident environnemental ne touche pas seulement la faune et la flore, mais aussi les populations locales qui boivent l’eau des fleuves et vivent de la pêche. Face à ce désastre, le gouvernement péruvien a déclaré l’état d’urgence sanitaire, pour une durée de 90 jours : 8 000 personnes sont directement concernées. Le 19 février, des organisations indigènes ont protesté devant le siège de la compagnie pétrolière nationale du Pérou, afin qu’elle se déclare responsable de la catastrophe. Petroperú a finalement été condamnée par le gouvernement à payer la somme de 13 millions de soles (3,3 millions d’euros) pour ne pas avoir respecté les mesures de sécurité réglementaires qui auraient suffi à empêcher les fuites. Ce type de tragédies est malheureusement assez courant au Pérou et l’on peut déplorer que certains dysfonctionnements se retrouvent chaque fois : absence de prévention, méconnaissance des causes de l’accident, lenteur dans la mise en place des solutions et incapacité à assumer la responsabilité. Il est aussi très regrettable que ce désastre n’apparaisse pas dans le débat électoral. Presque aucun des candidats à la présidentielle n’a présenté sa position par rapport à ces fuites de pétrole : au Pérou, bien qu’étant un enjeu très fort pour les populations, les questions environnementales sont toujours reléguées au second plan par les politiques.
Urgence environnementale : des rivières et des fleuves en péril
Les deux déversements survenus les 25 janvier et 3 février derniers, respectivement dans les régions d’Amazonas et de Loreto, équivalent à 3 000 barils de pétrole brut qui se sont écoulés directement dans plusieurs cours d’eau de l’Amazonie péruvienne. Les rivières Chiriaco (Amazonas) et Morona (Loreto) ont été particulièrement affectées. En outre, le pétrole est passé de la rivière Chiriaco à la rivière Marañón, affluent essentiel du fleuve Amazone, du fait de fortes pluies ayant accéléré l’avancée des hydrocarbures courant février.
Quelques jours après la marée noire de janvier, Petroperú déclarait qu’aucun cours d’eau n’avait été touché et que toutes les mesures nécessaires avaient été prises pour confiner intégralement le pétrole dans des réservoirs. En raison des fortes pluies survenues par la suite, les barrières de protection de ces réservoirs se sont effondrées et les dégâts se sont alors rapidement étendus.
« Petroperú s’intéresse plus à récupérer le pétrole déversé qu’à nettoyer les zones touchées et à fournir une assistance aux communautés dont la principale source d’eau potable est aujourd’hui polluée », a déclaré Edwin Montenegro, président de l’organisation autochtone ORPIAN-P (source : RRP Noticias).
Lors d’une conférence de presse tenue à Lima le 19 février dernier, l’organisation nationale de défense des droits des populations autochtones amazoniennes, AIDESEP, a exigé l’interruption complète des activités de transport des hydrocarbures tant que l’oléoduc n’aura pas été remis aux normes. L’organisation a également appelé la société civile à se mobiliser pour réclamer de l’Etat la mise en œuvre immédiate de mesures face à l’urgence de la situation.
De nombreuses communautés autochtones souffrent actuellement des graves conséquences environnementales et sanitaires causées par ces deux marées noires. Les terres et les rivières ont été sévèrement polluées. Les poissons sont imprégnés de pétrole brut. De nombreuses surfaces agricoles (chacras) sont aujourd’hui inexploitables, du fait de la montée des eaux polluées causée par les pluies torrentielles. Dépendant de la pêche quotidienne et de l’exploitation des terres, ces populations se voient alors privées, du jour au lendemain, de leurs moyens de subsistance les plus vitaux. Le Défenseur des Droits au Pérou, Eduardo Vega Luna, a déclaré mi-février qu’il était urgent d’approvisionner la population en eau potable et denrées alimentaires, exigeant l’action immédiate des autorités compétentes.
Lundi dernier, le ministre de la Santé, Aníbal Velásquez Valdivia, déclarait l’état d’urgence sanitaire pour une durée de 90 jours dans les zones touchées. L’eau des rivières Chiriaco et Morona, source première d’eau potable pour les populations locales, présente désormais un risque élevé pour la vie et la santé des habitants. L’état d’urgence permet la mise en place d’alternatives comme l’installation de réservoirs d’eau potable ou encore la distribution de filtres de purification de l’eau.
Invoquant que la fuite d’hydrocarbures du 25 janvier dans la région d’Amazonas se devait à un glissement de terrain, le président de Petroperú, German Velásquez, a rapidement été contredit par le ministre de l’Environnement, Manuel Pulgar Vidal. Au cours d’une interview accordée publiquement, ce dernier affirma que c’était l’absence d’entretien de l’oléoduc qui causait la majorité de ces fuites, constituant ainsi de la part de l’entreprise publique un énième manquement à ses obligations légales. La cause de la deuxième fuite survenue le 3 février dans la région de Loreto demeure [officiellement, NdTémoin] indéterminée à ce jour.
Aujourd’hui l’OEFA, agence gouvernementale de supervision environnementale du Pérou, a ordonné à Petroperú de prendre de mesures préventives immédiates pour l’entretien et la réparation des défaillances de l’oléoduc, afin de garantir la situation environnementale et sanitaire. A compter du 16 février, l’entreprise disposait de sept jours pour présenter son planning de travail. Dans sa résolution administrative, l’OEFA précise qu’au cours de ses activités de supervision entre 2011 et 2016, ce ne sont pas moins de vingt fuites de pétrole brut qui ont été constatées sur les installations de la compagnie pétrolière nationale.
« Il est important de souligner que les fuites de l’oléoduc qui se sont produites en janvier et février derniers ne sont pas des cas isolés. Antérieurement, il a fallu faire face à des situations d’urgence similaires causées par les défaillances dudit oléoduc », déclare l’OEFA dans sa résolution.
L’OSINERGMIN, autre organisme clé pour la supervision des infrastructures d’exploitation minière et pétrolière, vient d’imposer à Petroperú une amende de près de 3 000 000 d’euros, précisément pour avoir manqué à son obligation légale d’entretenir l’oléoduc et d’assurer son bon fonctionnement. Refusant initialement de reconnaître sa responsabilité, Petroperú tente aujourd’hui de limiter les dégâts en annonçant le licenciement de quatre fonctionnaires qui auraient failli à prévenir la catastrophe.
Malgré ces mesures, l’ensemble de la législation péruvienne demeure largement permissive et de nombreuses entreprises passent entre les mailles du filet. Petroperú n’en est effectivement pas à son premier coup d’essai. En juin 2014, une marée noire équivalent à plus de 2 600 barils de pétrole brut avait eu lieu dans la localité de Cuninico, région de Loreto, à deux pas de la Réserve Nationale Pacaya Samiria. Aucune sanction n’avait alors été imposée, seulement des mesures préventives et correctives.
Cette absence de mesures répressives s’explique notamment par l’adoption en 2014 d’une loi visant à favoriser les investissements privés au Pérou, au détriment des standards environnementaux minimums. La loi n° 30230, plus communément appelée « paquetazo ambiental » par les organisations de défense de l’environnement, dispose que l’OEFA n’imposera plus de sanction financière aux entreprises ayant commis une infraction environnementale pour une période de trois ans. Elle se contentera de dicter des mesures préventives et correctives. C’est seulement lorsque l’atteinte à la vie et à la santé sera jugée “réelle” et “très grave” qu’une sanction pourra être appliquée. Le montant de l’amende ne pourra néanmoins pas dépasser 50% du montant établi par la législation en vigueur.
Concernant la marée noire de Cuninico, l’OEFA avait considéré que les atteintes causées à la faune et à la flore étaient « réelles », mais que celles causées à la vie et à la santé n’étaient que « potentielles ». Aucune sanction donc, mais des mesures préventives et correctives pour réparer les dommages, telles que l’obligation de mettre en œuvre un planning de restauration environnementale ou encore informer la population des conséquences de la marée noire. En outre, contrairement au cas présent de Chiriaco et Morona, l’état d’urgence sanitaire qui permet la prise en charge immédiate des populations locales touchées, n’avait pas été déclaré à Cuninico.
Actuellement, la communauté autochtone kukama kukamiria de Cuninico souffre encore des conséquences du déversement survenu il y a bientôt deux ans et exige que l’Etat fournisse l’aide alimentaire nécessaire, ainsi que des installations pour le traitement de l’eau potable.
« Les gens n’ont pas d’argent pour acheter de l’eau et lorsque nous essayons de boire l’eau des rivières, dans les minutes qui suivent nous faisons des réaction allergiques. De plus, lorsque nous mangeons du poisson, cela nous provoque coliques et infections. On voit beaucoup cela chez les enfants », déclare le chef de la communauté de Cuninico, Galo Vásquez Silva (propos recueillis par Ideeleradio)
L’histoire pourrait malheureusement se répéter aujourd’hui. Si l’OEFA détermine que les atteintes à vie et la santé des habitants touchés par les marées noires de Chiriaco et Morona sont qualifiées de « réelles » et « très graves », alors Petroperú encourrait une amende qui pourrait aller jusqu’à 15 000 000 d’euros, selon le ministre de l’Environnement. Le travail d’investigation de l’OEFA pour déterminer si tel est le cas est toujours en cours.
Les organisations de défense des droits des populations autochtones et de l’environnement dénoncent la négligence de l’État face à la situation d’extrême urgence et de catastrophe environnementale et sanitaire qui a lieu en ce moment sous leurs yeux.
Comble de l’ironie pour certains, cette semaine-là le Président de la République française, François Hollande, remerciait le Pérou pour son engagement en faveur du climat et de l’environnement, dans le cadre d’une visite d’État.
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