WINTI, UN SYNCRÉTISME AFRO-SURINAMAIS
08/11/2012
Le Vaudou haïtien, le Kandomblé brésilien, vous connaissez...
Un entretien avec Papa Gé
Le Winti, c’est la conséquence de la cohabitation de plusieurs panthéons africains, en fonction de l'époque où les esclaves venaient du golfe du Bénin, Mais aussi de l'embouchure du Congo actuel, du Zaïre, et très peu, finalement d’Afrique de l’Ouest, donc Gorée, Gambie, très peu de là, en vérité. En vérité l’essence même du Winti, c’est la Côte des Esclaves, le Ghana actuel, la Côte d’Or, qui avaient les grands ports esclavagistes : Elmina[1], Takoradi[2], Cape coast[3]... Ils venaient essentiellement de là. Plus, à une certaine période, à l’embouchure du Zaïre. Mais très, très peu de gens venaient du Golfe des Esclaves, et ceux-là avaient transité par Barbade, souvent.
Donc, géographiquement, le Winti a été apporté par des nègres, des gens qui venaient essentiellement du même lieu. Ou du moins ils venaient des mêmes ports esclavagistes. C’est pourquoi les grandes divinités du Winti viennent des grands panthéons, des grandes sociétés animistes des XVIIè et XVIIIè siècles en Afrique. Par exemple, ceux qu’on appelle les Esprits Papas, le Vaudou, qui sont communs à toutes les ethnies recomposées dans l’esprit Caraïbe. Le Komanti, qui vient de l’intérieur du Ghana actuel. Et d’autres. Donc, le Winti, c’est la conséquence de la cohabitation de ces divers panthéons qui ont tendu peu à peu à atteindre un certain syncrétisme mais beaucoup moins que le Vaudou ou le kandomblé avec l’Église catholique. En vérité, le Winti serait un syncrétisme africain, sans pratiquement aucun emprunt au monothéisme. C’est un syncrétismes de panthéons, d’origines géographiques différentes, mais qui ont en commun la possession (on est possédé par ces esprits, ou par ces ancêtres réincarnés), et la réincarnation. La réincarnation étant la dimension la plus évidente, je crois, de la possession permanente, en quelque sorte.
Possession, médiumnité, réincarnation. Ça serait plutôt un éclairage africain, afro-américain, avec quand même, pour le winti depuis, on va dire, un siècle et demi, une composante amérindienne très intéressante qui est le culte de Aïssa et d’ailleurs le Winti commence toujours par les esprits de la terre, les esprits d’ici. Donc ce sont souvent des métis amérindiens, ou quelquefois même des amérindiens. C’est ça qui est intéressant dans le Winti, c’est que c’est commun aux Indiens, aux Créoles et même aux Créoles «businenguéisés», ou plutôt Businenge créolisés. Tu connais un peu Paramaribo, ceux qui sont à Zanderij, Santigron, c’est la proximité de la ville qui a mélangé les cultures du marronnage et les cultures amérindiennes dans un nouvel imaginaire collectif qui emprunte, emprunte, emprunte. C’est un culture d’emprunt, un vrai bouillon d’awara. Actuellement le winti commence toujours par Aïssa et se termine toujours par le Bakru. Le Bakru est un mal moderne, qui date du début du XXè siècle. On a ça chez les coolies. Ce n’est pas du tout dans la culture africaine. Le Bakru, c’est’ une nécessité sorcière pour créer un clic périphérique pour les femmes, essentiellement, d’ailleurs, des femmes confrontées à la polygamie, et qui dépendaient pour les biens de consommation principalement de ce que les piroguiers rapportaient de la côte. Et tout ce qui vient de la côte est à la fois un peu magique, un peu suspect. Surtout si tu donnes à la troisième femme et pas aux deux premières. Il y a à cela une explication, très marxiste, c’est amusant, d’ailleurs : le Bakru, c’est une réaction dominé/dominant. Les dominées, ce sont des femmes, plutôt des femmes délaissées, dans un contexte polygamique. Le Bakru est cette réaction, magico-religieuse, dans sa version sorcière, d’une société de femmes dans un rapport de force dominant/dominé, sur les biens de consommation. Dont les principaux artisans ne pouvaient être, à l’époque, que les piroguiers.
Le Bakru est une figure-sorcière de tout ce qui peut donner à l’homme une insatisfaction profonde (peur, jalousie, etc.) essentiellement basée sur de la matière : « Je manque d’argent, je manque de confort, oui mais lui, il en a, etc. ». La base même de cette dimension-sorcière, c’est un état profond que tu crées. Auquel cas, dans la ville ou dans la forêt, le Bakru profite de ça. Il se nourrit de ta jalousie, de ton mal-être, de ta rancœur. C’est un état, ça peut être vu aussi comme un être ou un esprit, puisque l’homme est un sac vide. Actuellement tu n’es qu’un hôte, habité par des tas d’esprits, dont celui que tu essaies de contrôler. Le Bakru n’est jamais qu’une disposition dans laquelle tu t’es mis, être à un moment donné atteint par le Bakru. On peut l’halluciner. Il y a eu des périodes où il était souvent halluciné comme une petite poupée, moitié bois, moitié chair. D’ailleurs il y a des luttes collectives, j’ai moi-même assisté à des chasses collectives du Bakru, « il est passé par-ici, il repassera par-là ». Et on va tous lui courir derrière, armés de bâtons. Mais la spécificité du Bakru et pour cela le Winti ne pouvait pas ne pas l’admettre, c’est qu’il peut être lui-même domestiqué et devenir un esprit de medium. Lorsqu’il n’est pas domesticable, il est meurtrier, il tue. Et il y a des crises sociales qui impliquent la sorcellerie, où il faut accuser quelqu’un : « Tu nous as apporté le Bakru », c’est toujours dans le cadre familial d’une fille qui va accuser son oncle maternel au 2è degré, par exemple : « c’est toi qui a apporté le Bakru, tu as acheté ça à Paramaribo, à Ramadam Bazar », parce qu’on connait tout, le prix, etc. « c’est toi, c’est le Bakru qui nous l’a dit ». Il a possédé la gamine. La gamine dit : « oui, j’ai été achetée par tel homme, tel homme, tel homme. Et tout ça sur la place publique. Une accusation en sorcellerie n’est jamais innocente. Le Bakru, c’est un cadre. Cela donne un cadre pour accuser. Diane Vernon[4] aussi s’est lancée dans cette réflexion, et finalement elle est loin d’avoir fait le tour de la question. Son approche repose un peu sur la mienne, une approche très matérialiste, qui ne voit l’intérêt dans le winti que de ces croyances qui ont fini par construire un imaginaire collectif qu’on transmet comme un catéchisme, ce qui finalement est devenu une religion. Ce n’est plus une superstition ou une sorcellerie, c’est une véritable religion. Avec des dogmes, avec des rites, des chants, des danses, des comportements. Donc, ça s’apprend, comme une religion avec son catéchisme, ses hérésies. Sauf le Bakru, qui reste non domesticable et qui est à la base de tous les nouveaux cultes. Lorsque M... s’est forgé à quelques km d’ici, on ne parlait plus que de ça. Quand je l’ai vu, c’étaient tous des jeunes, beaux, forts, qui enseignaient aux enfants à être possédés. La directrice était folle de rage, que je dise aux enseignants : « ne chassez pas le Bakru, vous allez chasser le fait culturel, et tout chasser en même temps. Essayez de comprendre comment ça fonctionne. [...], essayons de comprendre pourquoi elles sont deux ou trois, 14-15 ans, à gueuler « Bakru ! » dans leur collège, et ne me parlez pas de scan du cerveau et de schizophrénie précoce ! Essayez de comprendre ! ». Jamais, je n’ai eu une oreille complice d’enseignant en Guyane. Pas même non plus chez le personnel médico-légal : aucune infirmière scolaire, personne ne veut admettre que le Bakru n’est pas pathologique. C’est un comportement symptomatique d’une saine réaction par rapport à un mal-être, à une souffrance. Et lorsque c’est par deux ou par trois, on peut dire que c’est structuré. La souffrance essaie déjà de s’exprimer dans un cadre qui est protégé. Le collège est un cadre protégé. Autrefois le Bakru s’exprimait au bord du fleuve, et on était’ tranquille, si je puis dire. Mais là, lorsqu’elles sont deux ou trois, qu’elles essaient de s’exprimer dans un cadre protégé, que fait l’Éducation nationale ‘ Elle expulse les filles, avec des calmants. On n’a pas réglé le problème pour autant, au contraire. Alors qu’il serait pédagogique de comprendre ce que cela signifie. Mais on n’est pas payé pour ça !... Hier ces enseignants étaient à Mayotte, demain ils seront à la Martinique, alors, de là à faire de l’anthropologie… mais un peu de curiosité, tout de même, pour comprendre que le Bakru, c’est une nécessité ! Pour terminer avec ça, le winti ça commence avec Aïssa, l'esprit des Amérindiens, esprit premier de la terre, et ça se termine par ce trublion de Bakru, qui peut faire semblant d’être quelqu’un d’autre, d’ailleurs, que chez les Brésiliens on appelle Echù, le perturbateur.
Propos recueillis par Le Témoin
[1] Elmina, sur la côte ghanéenne est aujourd'hui un petit port de pêche de 20 000 habitants issu du premier comptoir européen du Golfe de Guinée. Les forts Saint-Georges et Saint-Jacques rappellent l'ancienneté de l'implantation européenne et l'âpreté des luttes dans ce qui a été un des plus grands centres africains de la traite des esclaves.
[2] Takoradi est une ville de l'ouest du Ghana, proche de la Côte d'Ivoire. L'agglomération de Sékondi-Takoradi comptait environ 335 000 habitants en 2005. Elle était un comptoir de l'Empire colonial danois jusqu'en 1850, quand elle fut vendue à l'Empire britannique.
[3] Cape Coast, ou Cabo Corso est la capitale de la région du Centre du Ghana et aussi la principale ville des Fantis, l'ethnie de la région. La ville est située sur la côte, à 165 km à l'ouest d'Accra dans le golfe de Guinée. Elle a une population de 82 291 habitants (recensement de 2000). Depuis le XVIe siècle siècle, la ville changea plusieurs fois de mains, disputée entre les Britanniques, les Portugais, les Danois et les Hollandais. Le nom fanti de la ville est Oguaa. Fondée par les Portugais au XVe siècle, la ville se développa autour du Cape Coast Castle, aujourd'hui devenu un patrimoine mondial de l'UNESCO. Il fut transformé en fort par les Hollandais en 1637, puis agrandi par les Suédois en 1652 et pris par les Britanniques en 1664. Ceux-ci y basèrent leurs opérations de la Côte d'Or (Gold Coast) jusqu'à ce que Accra devienne la capitale en 1877. Cape Coast est aussi l'endroit où la plupart des esclaves étaient regroupés avant d'effectuer le « passage du milieu », c'est-à-dire être envoyés en Amérique du Nord et aux Caraïbes.
[4] Ethnologue américaine vivant actuellement à Saint-Laurent du Maroni
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