PLAIDOYER POUR UNE MARRONNABILITÉ CONTEMPORAINE - la chronique d'Olson (12)
17/05/2020
Cet article prend sa place dans une suite de chroniques qui paraissent régulièrement sous la plume d'Olson Kwadjani, un jeune conteur-poète que j'ai invité à venir s'exprimer sur le site « Un Témoin en Guyane ».
Olson est un jeune Businenge possédant de la famille des deux côtés du Maroni. Il se déplace au gré de son courant de vie d'une rive à l'autre du fleuve et, par conséquent, il a toute légitimité pour se définir comme libasama, habitant du fleuve, transfrontalier.
Son regard affûté de jeune de moins de trente ans lui permet de poser un avis parfois dérangeant mais toujours pertinent sur l'actualité guyanaise et française. Gageons qu'il nous offrira une fois ou l'autre une réflexion sur l'actualité Surinamaise lorsqu'elle viendra interagir sur la vie du bassin du Maroni-Mawina.
LA MARRONNABILITÉ CONTEMPORAINE...
par Olson Kwadjani
Il s’agit ici de l’Héritage épigénétique de notre présente citoyenneté: un vivre-ensemble émancipateur.
Chez nous en Guyane, plus que partout où sévit l’esclavage hier émerge une composante majeure en mémoire de la résistance absolue à l’asservissement. Celle qui fût et demeure le Marronnage historique, aujourd’hui un héritage universel.
Mille aspects sont retenus ici par les Mémoires locales, des faits, des événements essentiels, des premiers aux derniers jours de la Traite. Ici , l'on aura des noms, des figures emblématiques, des personnages mythifiés, les héros d’une marronnabilité de tous temps. Ceux d’une inachevable abolition. Celle des inégalités d’hier à celle d’aujourd’hui.
Seule une Marronnabilité contemporaine constante, autorise ici une grille de lecture apaisée et sans doute en de nombreux cas une réconciliation longtemps attendue.
Ce qui est aujourd’hui mis en œuvre par la jeunesse de l’Ouest Guyanais est le partage de sources historiques incontestables et, ne serait-ce ici, que par les conséquences immédiates de leur prise en compte dans la vie quotidienne et les mémoires restaurées.
Les faits sont hélas têtus et leur interprétation invite partout au dépassement et à une identification plurielle de cet héritage con-temporain.
La Marronnabilité est une grille de lecture ou un point de vue qui, d’une Histoire commémorable pour ce que l’on en sait, fait un atout fédérateur de volonté transcendante d’unité.
La résistance à toute rééducation (récupération ?) citoyenne est-elle pathologiquement liée à la violence ciblée dans l'Ouest Guyanais ?
Il est clair pour la plupart des acteurs « bio-psycho-sociaux » exerçant dans la vallée du Maroni qu’une souffrance psychique exacerbée par la mal-insertion, la précarité transmissible, la conscience aiguë des inégalités et injustice sociale, doublées d’un monothéisme agressif (sectes diverses) prédisposent certains jeunes fragilisés, à développer des comportements extrémistes et violents.
Bien qu’appuyés par des croyances anciennes réintroduites au cours de ces dernières années, et évidemment bien au-delà des soumissions à des religions bien décrites par ailleurs, la délinquance, le comportement antisocial engendrant une médiocre estime de soi sont
parfaitement identifiés parmi les facteurs constitutifs du passage à l’acte.
Sur le fleuve, d’un bord à l’autre malgré de profondes disparités, ou précisément à cause de cela, la mal-insertion chronique côté français par exemple, amplifie une non-intégration chronique comme une injustice existentielle insurmontable. Ceci motive souvent, à l’image des figures mythiques d’Amawie et Néro (cf : Devoir marronner aujourd'hui dans l'espace des Guyanes, Joël Roy, L'Harmattan 2017 : le syndrome d’Amawie et Nero, pp 119 & alii) une radicalisation contemporaine réinventant de nombreuses aversions pour les Forces de l’ordre et toute forme d’institutionnalisation « à l'occidentale ».
L’abolition s’est faite, mais qu’en est-il du marronnage aujourd’hui ?
Le Marron s’est auto-libéré du joug du maître. Terreur et souffrance ne l’ont pas arrêté. Mais est-il outillé pour résister à l’emprise de la société actuelle, uniformisante ? Depuis la départementalisation de 1946, il faut résister encore.
Résister à l’assimilation, c’est refuser la dissolution dans un mode de vie où ses coutumes, ses dieux, ses esprits, n’ont pas de place, quand c’est en s’appuyant sur ces croyances mêmes que le Marron a forgé une société stable depuis trois siècles. C’est cette cohésion sociale qui est désormais l’enjeu du marronnage aujourd’hui.
Nous, Nègres marrons, refusons de nous laisser passer pour des fuyards tentant d'échapper aux chasseurs de Nègres pendant des décennies, pendant des siècles. Nous ne sommes pas des fugitifs mais des combattants. La fuite d'un esclave c'est le marronnage dans son sens le plus étroit, quelle qu'en soit la forme. Je prétends, pour ma part, étendre la notion de marronnage à l’ensemble des résistances créatrices, à partir du moment où elles suscitent des espaces de liberté au sein d’un univers de servitude.
Olson Kwadjani
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