S... UN JEUNE HOMME SAAMAKA (2)
27/12/2013
« civilisé mais qui garde sa culture comme elle est »
L’école, son rapport aux langues
- L’École du Suriname et l’École française, c’est carrément différent, ce n’est pas du tout la même chose. Déjà, les profs ne s’habillent pas de la même façon et là-bas[1], quand tu vas à l’école, tu es obligé de t’habiller comme il faut. Et même dans la rue, on ne doit pas te prendre habillé de façon un peu… tu vois, tu es obligé de t’habiller… comme les professeurs… il y a une tenue spéciale. Ce n’est pas comme au collège, ici, où on te dit « c’est blanc ou bleu… ». Non, ce n’est pas comme ça, pour les profs il faut des vêtements fermés, ne pas avoir les seins qui dépassent, les fesses qui dépassent, ou les cuisses qui dépassent, comme ici, non. Ils n’ont pas le droit de faire ça. Pour les élèves aussi, ce n’est pas du tout la même chose. Parce que, là-bas, ils donnent des coups. À l’école, on prend des coups, carrément. Moi, j’ai pris des coups (rire).
- Tu as pris des coups parce que tu n’étais pas habillé comme il aurait fallu ?
- Ou bien parce que je n’avais pas fait mes devoirs. Je prenais des coups si j’avais une mauvaise note. Et puis, là-bas, ce n’est pas noté sur 20, mais sur 10. Donc, si j’avais 3, sur 10, je prenais un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept coups. En fait, c’était vraiment dur, hein ? On avait de ces punitions, on devait prendre des coups…
- Même à l’école ?
- Même à l’école, on prenait des coups ! et les parents ne pouvaient rien dire. Si tu dis quelque chose… tu sais pourquoi ? Eh bien ils peuvent virer ton enfant, des trucs comme ça. Mais maintenant ça a changé. Ça a changé, les enfants ne prennent plus de coups comme ça. C’est fini. C’était à mon époque, ça.
- À ton époque ? mais ce n’est pas si vieux que ça !
- Non ce n’est pas si vieux (rire). Ça fait au moins 13 ans… Bon. J’ai dû changer d’école plusieurs fois. Parce que… bon, j’avais déjà mon caractère. Et, je resterai toujours avec. Je suis gentil, mais pas pour prendre des coups. Et je me battais avec des profs qui me foutaient des coups. C’est parce que j’ai un caractère qui est inchangeable (sic). Je ne peux pas changer ça. Ils me foutaient des coups parce que j’avais quelques mauvaises notes ; mais c’est comme tous les jeunes, hein ? on ne peut pas tout le temps avoir une bonne note. Ils pouvaient te donner des coups pour ça, seulement pour ça. Ou bien, des fois, tu viens à l’école, t’es mal habillé, c’est bon. Et, surtout, si tu as les ongles qui dépassent [les ongles longs], tu prends des coups. Il faut couper tes ongles avant d’aller [à l’école]. Et, là-bas, les jeunes n’ont pas le droit de faire des tresses, les garçons, surtout. Faire des tresses pour venir à l’école, c’est interdit, voilà. Interdit.
- Est-ce que tu connais la raison de cette interdiction ?
- Franchement, je n’ai jamais compris pourquoi.
- Les enseignants venaient de quels groupes ? Créoles ? Ndjuka ? Saramaka ?...
- Ils étaient un peu de tout (sic)…
- Ils venaient donc de toutes les sociétés ?
- Mais ils étaient obligés de faire comme on leur disait de faire, en fait. Il fallait parler hollandais, néerlandais, c’est ça qu’on apprenait à l’école, le néerlandais.
- Et le saanantongo[2] ?
- Non, pas encore. Saanantongo, c’est comme le créole. Tu parles ça hors du cours, mais pas pendant les cours, en fait.
- En classe, vous n’aviez le droit de parler que le hollandais ?...
- Voilà. Que le néerlandais[3]. Et… c’est comme ici.
- Oui, sauf qu’on va expliquer, et qu’on ne va pas frapper les enfants.
- Là-bas, c’était plus strict. Mais tu pouvais parler le saanantongo mais en cours, eh bien non. Tu dois parler le néerlandais. C’est comme ici, on apprend le français à l’école, là-bas on apprend le néerlandais à l’école.
- Mais dans la rue tout le monde ne parle pas le néerlandais…
- Ça dépend. C’est comme ici, hein ? Il y a des gens qui préfèrent parler le français au lieu du créole, il y en a qui préfèrent parler le créole au lieu de français, dans la rue. Ça dépend. Parfois on parle les deux. Moi je parle les deux. Des fois je parle le créole, j’ai des amis, parfois on parle le surinamais, le saanantongo… Avec d’autres on parle seulement le français.
- Attends… quand tu dis : « on parle Surinamais », tu veux dire que vous parlez le…
- En fait quand on dit saanantongo ça veut dire plusieurs langues. Ça veut dire : « la langue du Suriname ». Mais des langues, au Suriname, il y en a tellement…
- Voilà. J’ai toujours eu un peu de mal à percevoir si le saanantongo, c’était le créole surinamais, ou bien…
- On peut dire « le créole surinamais ». Mais il y a différentes… ce n’est pas comme ici, il y a le créole guyanais, et puis après c’est bon. Au Suriname il y a le créole, et puis, comment on dit, déjà… le taki-taki, en fait ça ne veut rien dire. Ça veut dire : parler-parler, et puis c’est tout. Quand on dit : saanantongo, O.K. ça va. Et puis le nengee… Tu connais, le nengee ?
- Justement, je pensais que le nengee, c’était le fait de parler un peu toutes ces langues-là…
- Ouais… Le nengere[4], c’est le truc de ville, ça (sic). C’est en ville qu’ils parlent le nengee. Avec ere à la fin.
- Sinon on dit « nengee »…
- Voilà. Ça, c’est Aluku. Sinon, il y a nengere, aluku, paamaka, saamaka, kotica, saakiiki…
- Saakiki, c’est…
- Saakiiki, avec un i long…
- Saakiiki, c’est une partie des saamaka, non ?
- La langue qui… le créole qui est parlé là-bas, c’est différent. C’est employé différemment, ce n’est pas la même chose du tout, ça ne colle pas. Dès que tu entends quelqu’un qui parle le paamaka, ou le saamaka, ou l’aluku, ça n’a rien à voir, c’est complètement différent.
- Et l’aluku et le ndjuka, ça se ressemble, tout de même, non ?
- Mmmh… ça dépend. Ça dépend, parce qu’il y a l’accent, aussi.
- Oui, l’accent… mais les mots, ils se ressemblent souvent, non ?
- Ça dépend. Parce que, franchement, ce n’est pas souvent. Et l’accent, ça déforme tout. C’est comme les martiniquais et les guyanais. Ou les guadeloupéens et les guyanais. C’est carrément différent. Pour moi, les martiniquais ou les guadeloupéens, c’est comme des chinois (sic). C’est à force d’écouter, et je dois bien écouter pour comprendre ce qu’ils disent, sinon… celui-là, qu’est-ce qu’il raconte ? du chinois ? C’est pareil au Suriname. On parle le saanantongo. Sinon, le ndjuka ne comprend pas ce que lui dit le saamaka. Le saamakatongo c’est un peu plus difficile…
- Je pense qu’on a le même problème, en Guyane. Mais la plupart des gens, y compris les chinois, parlent ce que… tu me dis que ça ne veut rien dire, mais ils parlent ce qu’on appelle le taki-taki. Cela permet à tout le monde de se comprendre.
- Voilà. Ils disent : « moi, je parle le taki-taki, comme ça tout le monde comprend ce que je dis ». Moi, c’est le taki-taki que je parle. Tu entends ? Mais si je viens, que je dis : « je parle le saanantongo », l’autre va dire : « mais qu’est-ce que c’est que ça ? », il ne sait même pas ce que ça veut dire, saanantongo. Du coup, tu dis « taki-taki », c’est bon. Tout le monde a compris. Mais taki-taki, ça ne veut rien dire.
- Mais, alors, ce n’est pas une langue qui est attachée à cette appellation ? Est-ce que ça veut dire que je vais pouvoir parler un peu de ndjukatongo, mélangé à du saamakatongo, etc. je mélange tout, on me comprend un petit peu, et je dis que j’ai parlé taki-taki ?
- Voilà.
- En fait, souvent, quand je parle avec mes amis saamaka, ils rigolent comme des fous, parce que je commence avec quelques mots de saamakatongo, et comme je ne parle pas suffisamment bien, je continue en taki-taki… Ils rient, ils me disent : « tu parles toutes les langues à la fois, mais au moins on te comprend » (rires). Mais, je m’oublie, c’est à toi de raconter. Mais je ne suis pas bien sûr d’avoir bien tout compris…
- Comme ?...
- Comme la différence entre le créole surinamais et le saanantongo… Est-ce que je dis la même chose si je parle du saanantongo et de la langue surinamaise ?...
- La langue surinamaise, c’est… tout. Tous les créole, tous…
- Donc il n’y a pas une langue surinamaise, il y a des langues surinamaises. Comme en Guyane, il y a des langues guyanaises, qui sont des langues nengee, en fait ?
- Voilà.
- Sauf, bien sûr, les créole guyanais, martiniquais ou guadeloupéen…
- C’est pareil pour les amérindiens, aussi. Il y a des Arawak, des kali’na, des wayana… Ils parlent différemment, ils ne se comprennent pas.
- Alors qu’au moins, en nengee, les businengee, vous vous comprenez tous.
- Au moins en nengee, oui. Mais ce n’est pas tout le monde qui comprend, aussi. Les moins civilisés (sic), bon, ils ne comprennent rien du tout. Ceux qui viennent le plus souvent en ville, O.K.
- Il m’est arrivé, sur le haut-Maroni, de m’arrêter dans un village sur le bord du fleuve, d’essayer de parler à quelqu’un, une femme. Puis je l’entends qui demande au gars qui m’accompagne : « san a taki ?[5] ». (rire de Sandie) Donc, je sais que je n’ai pas parlé la bonne langue.
- Ou peut-être qu’elle n’a pas bien entendu ? ou bien ton accent… (gentillesse et tentative de consolation de la part de Sandie)
- Non, non… c’étaient visiblement des gens qui ne bougent guère de leur village…
- Oui, c’est une façon de parler très différente.
(Nous marquons une pause)
À suivre : Les relations humaines (3)
[1] Nous sommes côté français, en Guyane, le terme « là-bas » désigne donc le Suriname.
[2] Langue véhiculaire au Suriname, créole à base lexicale hollandaise. Saanantongo signifie littéralement « langue du Suriname ».
[3] Je dis « hollandais », Sandie me reprend : « néerlandais ».
[4] Selon la langue parlée ou la région, certains mots à la dernière syllabe longue peuvent être doublées d’une autre syllabe composée par [r] + la dernière voyelle. Ainsi, nenge (ou nengee) peut devenir nengere avec [r] bien roulé, presque [l], ou bien tamaa qui signifie « demain » peut devenir tamara, etc.
[5] « Qu’est-ce qu’il dit ? ».
A découvrir aussi
- S... UN JEUNE HOMME SAAMAKA (6)
- AMÉRINDIENS DE GUYANE : QUI SONT-ILS ?
- RENDEZ-VOUS AVEC LE TÉMOIN EN GUYANE
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 92 autres membres