Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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ÉTHIQUE ET ESTHÉTIQUE DE L’ÊTRE

18/08/2023

 

 

La façon dont les choses doivent être faites

 

Je débuterai ici mon propos en reprenant des idées développées par Rogério Brittes W. Pires, professor do departamento de Antropologia e Arqueologia da Universidade Federal de Minas Gerais, au Brésil. Celui-ci en effet a su discerner de quelle façon les Marrons s’appropriaient les règles… en les discutant !

 

image.jpgDe nos jours, dans les sociétés modernes dites civilisées, tout le monde souhaite établir des règles pour tout le monde, tout le temps. Le résultat, infiniment paradoxal, est qu'en fin de compte, personne ne maîtrise vraiment personne. Il n’y a qu’une autorité vide et inefficace, mais pas de maîtrise ni de réelle gouvernance, donc aucune légitimité à des règles qui n’existent que par leur multiplication.

 

 

image2.jpegChez les Businenge, les détails sur « la façon dont les choses doivent être faites » sont avidement discutés, en particulier lors des funérailles. Nous ne pourrons que constater que l'idée de « règles » (wet) sont constamment débattues à travers des interprétations localisées de la coutume notamment au cours des krutu. Au cours du krutu, l’assistance est en capacité de casser puis de recoller l'apparente rigidité des règles et des hiérarchies politiques. Jusqu’à un certain point, les règles sont souvent flexibles et ouvertes à l'interprétation.

Selon Foucault (1990 [1984]:28), pour qu'une action soit « morale », elle ne doit pas être réductible à un acte ou à une série d'actes conformes à une règle, à une loi ou à une valeur, même si toute action morale implique un rapport à la réalité dans laquelle elle s'inscrit, et un « rapport à soi ».

img4.jpegPour comprendre un style de vie – ou une esthétique de l'être[1] – les rapports que les gens entretiennent avec les règles ou les actions sont aussi importants que leur contenu explicite. Il paraît évident que, si l'idée même de wet repose sur l'importance des arguments, des débats et des reformulations, la (re)construction continuelle de manières légitimes d'agir est au moins aussi pertinente pour comprendre les institutions telles que les rites funéraires ou le système lignager et leurs contenus, tels que les gestes rituels ou la transmission des terres, des substances et des offices. Les formes de débat font partie des éléments les plus fondamentaux de la vie sociale des Marrons, au cœur d'une éthique et d'une esthétique qui guident les relations avec les gens, les lignages, l'autorité, les amis et les esprits. C'est par la discussion qu’ils construisent leur monde. Dans une certaine mesure, les règles sont partout flexibles et ouvertes à l'interprétation. Ce qui est particulier dans l’idée du wet, c'est la façon dont ces règles abondantes sont constamment recréées par des arguments – dans les krutu et pendant les funérailles (Broko dey et Puru baka) – et les façons spécifiques dont les gens utilisent le passé et l'autorité pour revisiter leurs coutumes.

[1]  Selon Heidegger, non pas l’occasion de procurer une émotion mais bien plutôt une approche de la vérité. La distinction entre l’être et le paraître, en quelque sorte.

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Les nombreuses règles sont souples, non dogmatiques, et les enfreindre n'entraîne pas forcément de punition, qui résulte du fait que chacun soutient sa propre définition de la situation, sur la base des précédents et de l'expérience. Les règles émergent de la manière dont les gens se rapportent les uns aux autres, au monde et aux règles elles-mêmes. La vie, la politique et la philosophie sont étroitement liées. Le wet réglemente la vie en fonction de la manière dont elle est vécue et de la manière dont on souhaite vivre, c'est-à-dire en fonction d'une philosophie politique, d'un ensemble d'idées sur ce que devrait être une bonne vie, d'idéaux qui sont également réglementés.

img-3.jpgLorsqu'il y a un État, l'on peut avoir l'impression de l'autonomie et de l'uniformité des lois. La hiérarchie des Marrons, même si elle est légitimée par l'État surinamais et dans une moindre mesure par l'État français, ne suit pas un modèle politique semblable à celui de l'État. En effet, même si les wet contribuent à organiser la socialité en définissant les actions qu'une personne doit ou ne doit pas moralement entreprendre, cette définition est également flexible.  Cette idée qui désigne des « manières d'exister » ou des « styles de vie » relie l'éthique et l'esthétique : l’éthique est un ensemble de règles facultatives qui évaluent ce que nous faisons, ce que nous disons et se trouve de fait opposée à la morale, selon Foucault, et comme nous l’avons vu, Heidegger implique l’esthétique comme vecteur de vérité. C’est bien du passage de l’un à l’autre que naît la socialité marronne.

Pour ne pas conclure, j’écrirai encore que la lutte ne devrait pas être le seul thème pertinent lorsque l'on aborde les communautés marronnes. La plus grande partie de leur histoire a été pacifique et chacun sait qu'il existe d'autres moyens de traiter avec les étrangers que la fuite et la guerre. Néanmoins, lorsque leur terre est menacée, ils n'hésitent pas à dire qu'ils recommenceront une guerre, si nécessaire… et ils ont en effet mené une guerre civile dans les années 1980. L'un des principaux enseignements de l'histoire des fosi ten, est que certainement « ces temps reviendront ».

 

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Les Marrons savent que la liberté n’est jamais définitivement installée et qu'elle exige une vigilance et une résistance de tous les instants.

 OKwadjan

 

  Retrouvez bientôt la prochaine chronique d’Olson sur Un Témoin en Guyane


18/08/2023
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