Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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LES BUSINENGE : PEUPLE OUBLIÉ OU PEUPLE RELÉGUÉ ? la chronique d'Olson (1)

16/08/2019 



Voici la première d'une suite de chroniques qui paraîtront régulièrement sous la plume d'Olson Kwadjani, un jeune conteur-poète que j'ai invité à venir s'exprimer sur le site « Un Témoin en Guyane ».

Olson est un jeune Businenge possédant de la famille des deux côtés du Maroni. Il se déplace au gré de son courant de vie d'une rive à l'autre du fleuve et, par conséquent, il a toute légitimité pour se définir comme libasama, habitant du fleuve, transfrontalier.

Son regard affûté de jeune de moins de trente ans lui permet de poser un avis parfois dérangeant mais toujours pertinent sur l'actualité guyanaise et française. Gageons qu'il nous offrira une fois ou l'autre une réflexion sur l'actualité Surinamaise lorsqu'elle viendra interagir sur la vie du bassin du Maroni-Mawina.

 

 

NOUS, BUSINENGE : PEUPLE OUBLIÉ OU PEUPLE RELÉGUÉ ?

par Olson Kwadjani

 

Des constats choquants

 

08-02-27 011 copie.jpgLa Guyane, pourquoi ça ne marche pas ?

 

Un département à plus de 7000 kilomètres de la « Mère-patrie ». On y trouve des déchets qui s’amassent, on y rencontre des problèmes d’accès à l’eau et à l’électricité, on y est confronté à un chômage chronique et massif, et on y voit des écoliers et des collégiens en errance...

 

Sont-ce les changements socio-économiques et culturels résultant de l’installation des États Français et Surinamais, chacun avec son propre système dans l’univers du bas-Maroni, de chaque côté du fleuve frontière, qui sont responsables de la situation que nous y observons chaque jour ? et quels sont-ils ?

Voyons donc où va nous emmener un tel questionnement…

Précisons tout d'abord que ce qui est écrit ci-dessous ne repose pas sur des chiffres, enquêtes à l'appui. Non, ce sont des mots entendus, des paroles prononcées au cours de conversations informelles (taki soso…). En fait, ce sont des choses ressenties et donc, dont la réalité peut être mise en cause… Mais chacun sait que ce que l'on ressent est vérité si le contraire n'est pas prouvé.

 

Administration, institutions… une gouvernance lointaine par une société dominante

Ce que relève surtout la population peut sembler très ordinaire : il s'agit, dans les communes, du problème de l'eau et dans les kampu  de celui de l'électricité ; un peu partout, le problème des déchets devient prégnant : « Les gens jettent dans le fleuve et la saison des pluies évacue tout ça ».

Pourtant, ces trois priorités ne semblent pas être celles des municipalités. Les délégations en chaîne des questions de voirie (à la CCOG, au privé…) viennent en outre brouiller la compréhension des populations, ce qui entraîne une forte perte de confiance de la population envers les élus et une incompréhension quasi-totale des compétences institutionnelles.

 

 

Tous ces phénomènes sont encore aggravés par le fait qu'il n'existe pas de pôles d’information ni d'interfaces de concertation. La population est donc peu ou pas informée des aides de l’État ou de la Région et des procédures de sollicitation desdites aides. Il ne faut donc pas s'étonner du fait que les lois en vigueur en Guyane soient considérées comme faites pour la population dominante (Créoles et Métros) et ne concernent que très peu les populations businenge.

840.JPGUn autre point est à préciser : il n’y a que peu de travaux d’études concernant le milieu où vivent les populations du fleuve en Guyane, comme par exemple la concentration en mercure de l'eau et de la chair des prédateurs aquatiques. Les dernières investigations dans ce domaine remontent à plusieurs années et leurs résultats sont publiés de manière tout à fait confidentielle.

En résumé, on évoque un manque de communication, de dialogue, d’offres de formation, des lois inadaptées, des procédures lourdes et une perte de confiance qui induisent cette première réaction en chaîne : il est difficile d’entreprendre et en conséquence, rien n’est entrepris. Les responsables en place prennent des directions contraires aux attentes des populations, ce qui vient encore renforcer le sentiment qu'une forte discrimination ethnique est présente. Au final, rien ne bouge.

 

Éducation : 1500 à 2000 enfants et jeunes seraient non-scolarisés ou décrocheurs

La Guyane et Mayotte sont les deux départements qui possèdent le taux d’échec et d’arrêt prématuré de scolarisation le plus fort de France. Dans le bassin du moyen et bas-Maroni, 90% des élèves sont non-locuteurs du français à leur entrée à l'école. À l’échelle régionale, le taux de réussite à l'examen du baccalauréat, toutes filières confondues, se situe aux environs de 75%. Mais peu de jeunes atteignant le baccalauréat, le taux global de réussite se situerait aux environs de 25 à 30% (contre 82% en métropole !).

 

Comment expliquer cela ?

Sur certaines communes du fleuve, à peine 50% des élèves suivent l’école de manière régulière. Défaut de transport en pirogue, longueur des rituels familiaux traditionnels (deuil) en seraient les causes principales. On voit bien là le choc entre le pays légal (instruction obligatoire) et le pays réel (tradition et coutume).

Il ne faudrait pas, cependant, oublier 

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le manque ou la perte de motivation… la première cause en est que les professeurs d'école et de collège viennent en majorité de Métropole, plus rarement des villes littorales. L'enseignement se fait donc dans une langue que les élèves maîtrisent peu ou mal, parfois pas du tout.

La seconde cause est un manque de respect ouvert de la part de certains enseignants, réel ou non, mais ressenti comme tel. Les professeurs restent rarement plus de trois ans, et ceux-ci « ne sont pas là pour les élèves », témoigne-t-on. Ils vivent entre eux et sont déconnectés des élèves et de la société locale.

D'autres facteurs secondaires sont évoqués, comme la non-adaptation du programme scolaire au contexte local (un programme unique pour toutes les classes de Métropole et d’Outre-Mer) ou encore le manque de communication sur les orientations possibles après brevet et après bac.

Sans oublier de mentionner que les jeunes doivent quitter leur environnement familial et culturel pour être hébergés sur le littoral en familles d'accueil étrangères à leur culture et (encore une fois) à leur langue.

Un système économique figé... et entravant 

Les aides de l’état : le RSA, les allocations familiales, la sécurité sociale, les diverses aides à l’emploi et l’insertion, sans compter les subventions familiales comme la bourse de rentrée deviennent non plus un revenu d’appoint, mais un revenu à part entière. Il n'y a que pour les Métros que la vie est chère.

Les gens ne vont plus chercher le travail et sont de fait, sans (au début) l'avoir cherché ni voulu, tombés dans un assistanat institutionnel. 

Les populations consomment, et consomment davantage. Entre le six et le dix de chaque mois l'on peut voir l'une derrière l'autre, une femme métro et une femme businenge faire la queue, chacune son caddy rempli, à la caisse de Super-U, pendant que les enfants de l'une et de l'autre se saisissent des friandises à leur portée à cet endroit.

L'une est issue d'une société ancienne et structurée, à la culture très normative. L'autre est une descendante de Marrons, ces Nègres ayant combattu autrefois pour recouvrer leur liberté mais également leur dignité. Ne dirait-on pas que la consommation tue (a tué) la marronnabilité ?


842.jpgLa quête de revenus pousse également une partie de la population à emprunter d’autres voies : l’orpaillage clandestin, le trafic de stupéfiants ainsi que font les mules de plus en plus nombreuses, à tel point qu'on ne sait plus si l'on pourra endiguer leur flux ni placer sous mandat de dépôt tous ceux et toutes celles qui pratiquent cette activité presque comme un sport, pour l'adrénaline presque autant que pour le gain.  Je peux parler encore de la prostitution, pardon, du sponsoring, puisque nombre de jeunes gens et jeunes filles gagnent un certain confort matériel (vêtements de marque, dernier smartphone sorti…) et parviennent à aider leur famille en confiant pour un temps leur corps à un amateur...

Des « citoyens » sans information, assistés économiquement, face à une administration complexe et démotivante, perdent ici leur statut de citoyens. La faute au contexte ?

Une population inerte ?

Selon certains, aujourd’hui, seul le pouvoir d’achat compterait et les Businenge auraient adopté un certain individualisme tant sur le plan de la consommation que dans un cadre social plus général. Les parents seraient plutôt indifférents à la réussite scolaire de leurs enfants et la solidarité intra-communautaire serait réduite à peau de chagrin

L’Hypothèse du cercle vicieux se résumerait ainsi : « Parce qu’ils sont démotivés, on ne les informe pas, et puisqu’on les entretient, ils n’agissent pas. Comme ils n’agissent pas, ils se démotivent. »

Cause et conséquence, la mentalité des habitants de la zone du moyen et bas-Maroni constituerait le dernier maillon de la chaîne, l'ultime ?

 

771.jpgArrêtons avec ces explications aussi simplistes que populistes.

Des chaînes, les Businenge en ont brisé d'autres. Celles de la consommation seraient-elles plus fortes qu'une marque au fer rouge ou qu'un tendon coupé ?

C'est la conscientisation qui sera la pièce maîtresse de la transformation du cercle vicieux en un autre, vertueux. La conscientisation du peuple colonisé ainsi que l'est mon peuple, (doublement, par un État qui continue de se dire Métropole et par un pouvoir local qui se veut dominant) mais également la conscientisation du colonisateur : un ami «Métro» me rapportait un jour la parole d'un autre Blanc qui aurait dit : « le statut précède le comportement, et pas l'inverse ».

Alors, vous tous qui lisez cela, commencez donc à décoloniser le regard que vous portez sur les peuples businenge.

O.K. 

 Retrouvez bientôt la prochaine chronique d’Olson sur Un Témoin en Guyane

 



17/08/2019
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