LA GUYANE DEBOUT
04/03/2018
Il y a un an, le peuple Guyanais entrait en résistance. Révolte, ras-le-bol, écœurement ?
Assurément, mais pas découragement.
Il y a un an, j'écrivais cette chronique. Un an après, il semble qu'elle soit toujours d'actualité.
Un an après, c'est jour de scrutin, seconde bouche, dans la seconde circonscription de la Guyane.
De tous temps la Guyane s’est employée à poser à la France des questions gênantes bien qu’essentielles. Malheureusement il faut bien reconnaître que les réponses hésitantes et peu sûres des responsables politiques ont toujours été loin de la hauteur des ambitions affichées, ce qui, année après année, ne fait que renforcer le sentiment d’abandon et de relégation de la majeure partie de la population.
Et si les atermoiements des politiques révélaient, paradoxalement, moins la difficulté d’administrer une région lointaine que la difficulté d’assumer un passé colonial ? Ne s’agirait-il pas de se forger une nouvelle représentation de la fonction que doit occuper une métropole et de la diffusion de cette image dans le débat national ? L’on ne peut que reconnaître, ici, la nécessité de déconstruire l’idée d’un empire colonial et de redéfinir ce que pourrait être l’identité historique et géo-politique de la France.
Le profil social guyanais
Plutôt que de livrer ici mon sentiment sur les « événements » qui secouent la Guyane actuellement, je préfère ici livrer quelques chiffres, succincts mais parlants, relatifs au profil de la population guyanaise. Afin d’enfoncer le clou, je commencerai par situer mes observations dans l’Ouest guyanais, l’« autre Guyane », moins connue des médias que ne le sont Cayenne et Kourou (deux villes où se trouve concentrée la majeure partie de la richesse guyanaise) et boudée par les responsables politiques – et les touristes –.
Dans cette région simplement séparée du Suriname par le fleuve Maroni, 70% de la population a moins de 25 ans. Parmi ces jeunes, 80% sont non-francophones ou n’ont pas le français comme langue première, et un millier est non-scolarisé ; près de 70% quittent le système scolaire (prématurément ou non) sans qualification ni diplôme. Il est important de noter, également, que 50% de jeunes sortis du système scolaire, prématurément ou non, diplômés ou non, restent sans emploi, et que, même parmi les diplômés, 50% des bacheliers, (toutes filières confondues) restent aussi sans emploi.
Enfin, si l’on prend les chiffres globaux du chômage en Guyane, l’on s’aperçoit que 22% de la population guyanaise est demandeuse d’emploi, c’est plus du double qu’en France hexagonale. À titre d’anecdote, dans l’ouest, c’est plus de 43% de la population qui est sans emploi.
Après la loi de départementalisation en 1946
Dans les quatre « vieilles colonies » : Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion, il faut rappeler les conditions souvent malaisées, parfois freinées ou retenues dans lesquelles s’est déroulé le processus d’assimilation à la République. N’ayons pas la mémoire courte et rappelons-nous les émeutes de Fort-de-France en 1959, celles de Guadeloupe qui firent 87 morts en 1967, celles du Chaudron à la Réunion qui firent 8 morts en 1991 et 1992, s’étendant aux autres DOM, puis celles de Guyane en 1996 (un mort) et le mouvement de 2009 dans tous les DOM, qui fera déplacer le Président de la République et mettra en place les États généraux de l’Outre-mer. À cette liste je n’oublierai pas d’inscrire l’insurrection Kanake de 1984, la tragédie d’Ouvéa en 1988-1989 ainsi que les émeutes de Papeete en 1987 et 1995. La France serait-elle malade de ses Outre-mer ?
La Guyane représente pour la France un atout extraordinaire. Elle est « la France en Amérique du sud » qui offre à la France sa plus longue frontière (730 km !), ouverte sur le Brésil et qui pourrait devenir un lieu formidable d’échanges et de collaboration avec la septième puissance mondiale. Elle lui permet de placer des satellites sur orbite qui représentent 80 % des exportations de la Guyane. Elle l’autorise à siéger aux réunions des pays amazoniens, et, un jour, à proposer un mode de gestion intelligent des milieux amazoniens et de leur prodigieuse biodiversité, en harmonie avec les peuples autochtones qui en sont les producteurs et les gardiens. Elle doit être pour notre pays non seulement une vitrine de nos compétences tropicales, mais aussi un lieu de redistribution de ces dividendes, de coopération internationale et de dynamisme local.
Oui, mais voilà…
Les résultats économiques et sociaux de la Guyane ne peuvent pas être comparés à ceux de la métropole. Elle est la voiture-balai de tous les indicateurs sociaux, ce qui ne peut que la faire comparer aux autres territoires de la région : Amapá brésilien, Suriname, Guyana… C’est bien là que peuvent se lire le succès ou l’échec de la politique française. La population guyanaise ne peut plus se contenter de la situation actuelle, marquée par des carences sanitaires, éducatives, sociales, par l’insécurité et la corruption. La Guyane pourrait devenir un lieu d’échanges internationaux, qui bénéficierait à la population, au lieu de l’en faire souffrir. C’est à ce niveau que se situent les attentes des habitants de la Guyane française ; c’est cela que leur mouvement essaie de faire entendre à la Métropole. Sans cette écoute et sans la prise en compte de ces attentes, la Guyane restera une région d’un pays du Nord… avec une population du Sud.
Joël Roy,
écrivain et chroniqueur
06/04/2017
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