LE MIRAGE FRONTALIER... la chronique d'Olson (11)
08/03/2020
Cet article prend sa place dans une suite de chroniques qui paraissent régulièrement sous la plume d'Olson Kwadjani, un jeune conteur-poète que j'ai invité à venir s'exprimer sur le site « Un Témoin en Guyane ».
Olson est un jeune Businenge possédant de la famille des deux côtés du Maroni. Il se déplace au gré de son courant de vie d'une rive à l'autre du fleuve et, par conséquent, il a toute légitimité pour se définir comme libasama, habitant du fleuve, transfrontalier.
Son regard affûté de jeune de moins de trente ans lui permet de poser un avis parfois dérangeant mais toujours pertinent sur l'actualité guyanaise et française. Gageons qu'il nous offrira une fois ou l'autre une réflexion sur l'actualité Surinamaise lorsqu'elle viendra interagir sur la vie du bassin du Maroni-Mawina.
LE MIRAGE FRONTALIER...
par Olson Kwadjani
Le rôle des populations issues du marronnage comme leur mode historique de fonctionnement relevant de résistances complexes sont souvent très mal relayés par le pouvoir central, toutes compétences confondues (santé, éducation, économie…).
Dans l’histoire d’un voisinage entre deux rives d’un fleuve formant même pays, comment vont pouvoir se positionner les différentes délégations des pouvoirs centraux ? La distance est courte entre interventionnisme d’État et observation passive (voyeurisme ?).
Mais que sont donc ces petites taches jaunes disséminées dans la végétation sur les deux berges du Maroni et tout au long de la RD 9 entre Saint-Laurent (Solan) et Mana ?
Le Parti de la libération générale et du développement (ABOP : Algemene Bevrijdings- en Ontwikkelingspartij) est un parti politique au Suriname, fondé et présidé en 1991 par l'ancien chef rebelle Ronnie Brunswijk, opposant à Desi Bouterse (encore actuellement président de la République de Suriname).
Cinq ans après son indépendance, le Suriname est frappé par une stagnation économique. C’est dans ce contexte que survient Le coup d’État du 25 février 1980 au Suriname, également appelé le coup d'État des sergents (en néerlandais : De Seargentencoup). Mené par un groupe de seize sergents (en néerlandais : groep van zestien) et un peu moins de quatre cents hommes des Forces armées surinamiennes (SKM), dirigés par Dési Bouterse, il a pour effet de renverser violemment le gouvernement du Premier ministre Henck Arron. Le président en place, Johan Ferrier, a finalement été limogé lui aussi en août 1980 et par la suite, après le coup d'État de Bouterse, la plupart des autorités politiques ont été transférées à la junte militaire. À partir de ce moment-là, les présidents titulaires ont tous été installés par l'armée de Bouterse, qui dirigeait de facto le pays pratiquement sans contrôle.
De coups d’État en coups d’État, d’assassinats en assassinats, de présidents en présidents, moins de vingt années se passent depuis la fin de la guerre civile jusqu’en 2010 où Bouterse devient président de la République, fonction qu’il exerce toujours à ce jour, bien qu’il soit recherché par la plupart des polices de la planète pour crimes et trafic de stupéfiants.
Comment expliquer la période 1980-1986 et la non-association de fait, dans l’armée et dans la politique du pays par le pouvoir central surinamais, des populations businenge ? Finalement ce n’est pas en tant que peuple mais en tant qu’éléments constitutifs d’un « État démocratique », sujets à qui on ne demandera pas leur avis, mais qu’il faudra bien prendre en compte comme parties prenantes d’un système économique tardant à trouver son équilibre. Si l’idée d’un État-nation vient remplacer ce qui existait auparavant, c’est qu’il aura fallu à Bouterse les six années de 1980 au début de la guerre pour l’imposer par les armes.
Finalement, la distance séparant la réalité intérieure du pays et sa réalité géo-économique a toujours été sous tensions. Ont suivi ensuite des pressions sociales, des grèves et des mouvements qui tendaient à donner à ces tensions une forme qu’on pourrait presque décrire comme ressemblant à de la lutte des classes. Depuis la mise en eau du barrage de Brokopondo en 1964 (où pour mémoire 1564 km² de terres de l’intérieur ont été submergées et des milliers de personnes déplacées, au nom du développement du pays : fourniture d’énergie pour l’extraction de bauxite par la compagnie nord-américaine Suralco), on peut dire que l’investissement politique des populations businenge a fait long feu. Il s’agit, depuis, de ce qu’on pourrait appeler une non-participation du pays réel aux propositions du pays légal qui s’est fourvoyé.
Qu’en est-il aujourd’hui des relations entre Businenge et pouvoir central ? Là encore, il faut retourner trente-cinq ans en arrière. Rappelons-nous les premiers mois de la guerre civile, les plus meurtriers peut-être, les déclarations avérées ou non mais d’une extrême violence de Bouterse qui ont laissé des traces dans le souvenir collectif businenge, menaçant de « tuer tous les Marrons », de « trouver et bombarder tous les abattis »… L’armée avait appliqué dès mai 1986 une politique féroce de représailles collectives, jusqu’à la boucherie au village de Moïwana en novembre 1986 où une quarantaine de civils furent massacrés.
À ce moment-là a vraiment débuté un exode massif de populations vers la Guyane. En quelques jours des milliers de personnes ont traversé le Maroni, fuyant devant la crainte de massacres de masse. Beaucoup de Surinamais ont ensuite fait souche et vivent depuis lors indifféremment sur les deux rives du fleuve.
Mais que sont donc ces petites taches jaunes disséminées dans la végétation sur les deux berges du Maroni et tout au long de la RD 9 entre Saint-Laurent (Solan) et Mana ?
L’ABOP : Algemene Bevrijdings- en Ontwikkelingspartij) a été fondé et présidé en 1991 par l'ancien chef rebelle Ronnie Brunswijk, opposant à Desi Bouterse. Il n’est donc pas étonnant qu’une grande partie des Businenge se réclament de ce parti. C’est donc… sans doute… cela qui explique qu’on le voie fleurir sur les deux rives du Maroni et sur la route entre Solan (Saint-Laurent du Maroni) et Mana.
Wan liba, wan kondre, wan tongo, wan foluku (Un fleuve, un pays, une langue, un peuple).
Comme s’en étonnait récemment un haut-fonctionnaire français : « Mais… On ne croirait jamais que ces gens vont aller voter bientôt aux municipales ! » Car, savez-vous, on vote bientôt, également au Suriname, en mai prochain, pour renouveler les 51 membres de l'Assemblée nationale qui devront élire le futur président.
Nous verrons qu'en Guyane comme au Suriname, « en face », le décalage entre le pays légal et le pays réel est bien palpable… Car le nombre de papillons jaunes virevoltant au vent ne dit rien sur un possible nombre de votants, mais dit beaucoup sur la défiance vis-à-vis du pouvoir en place.
Olson Kwadjani
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