LES « QUARTIERS INFORMELS » ET LE MONDE DE SUPER U (1)
20/07/2023
Un « quartier informel » ou « quartier d'habitat informel » désigne, dans le langage courant, un quartier d'habitations auto-construites avec des matériaux de récupération. Ces appellations ont pour fonction d’insister sur l'installation de leurs habitants en dehors d'un cadre juridique formalisé ; celle de « quartier d'habitat spontané » insiste plutôt sur l’auto-construction sans plan préalable. Certains préfèreront le terme plus englobant d’« habitat précaire ». Quel que soit leur nom, ces quartiers ont en commun un ensemble d'habitations précaires, dans des secteurs non viabilisés, parfois faites de matériaux de récupération et dont les habitants ne possèdent pas de titre de propriété. Il en résulte d'une occupation de fait, dite illégale, du sol dans les secteurs des périmètres urbains ou périurbains qui deviennent inutilisables, passent pour dangereux, plus ou moins insalubres (fortes pentes, zones inondables et lagunes, décharges, etc.) et laissés vacants. L'apparition de ces constructions est souvent rapide, parfois en une nuit, afin de prendre de court les autorités.
Une version nomade du bidonville est le camp de tentes correspondant souvent à la migration précipitée d'un grand nombre de personnes, notamment en cas de conflits[1]. Alimentés par les flux de populations rurales, souvent pauvres, attirées vers les grandes villes mais ne pouvant s'y loger décemment, ces quartiers sont liés aux migrations rurales (et plus généralement insérés dans les circuits migratoires campagnes-villes, ce qui implique également des retours). Dans les pays riches, les bidonvilles ont été synonymes de forte croissance urbaine à une époque de croissance économique rapide reposant sur une main d'œuvre abondante et mal rémunérée (en France pendant les Trente glorieuses par exemple). Aujourd'hui, ils sont le symptôme d'une crise du logement et d'une difficile insertion des populations les plus précaires dans la ville.
Bien sûr, le terme n'est pas exempt de misérabilisme. Or il masque une réalité très diversifiée. En effet, les quartiers réalisés en matériaux de récupération peuvent donner naissance, à plus ou moins long terme, à des quartiers consolidés, aux habitations construites en dur et en voie progressive de reconnaissance et de viabilisation, avec toute une gradation de formes intermédiaires. De plus, auto-construction ne veut pas toujours dire matériaux de récupération : les matériaux de construction sont parfois achetés. Dans certaines villes, les quartiers auto-construits sont la norme, ou au moins une forme de norme, et au fil des générations leurs habitants ont pu consolider leur position socio-économique[2]. Lorsqu'il n'a pas été détruit au bulldozer[3] par les autorités municipales ou d'échelon supérieur, le devenir habituel d'un quartier auto-construit est d'être légalisé, raccordé aux réseaux, et finalement inséré dans la trame urbaine. Beaucoup de quartiers aujourd'hui patrimonialisés des faubourgs historiques des vieilles villes européennes furent, à l'origine, des quartiers d'habitat spontané.
[1] C’est le cas à Cayenne : voir les camps de toile occupés par des immigrés venus du Moyen-Orient, que l’on nomme un peu abusivement Syriens.
[2] C’est parfois le cas dans les « quartiers informels » de la périphérie de Saint-Laurent du Maroni, mais très souvent le long de la route, du carrefour Margot à Mana, le cd9. Année après année, on y voit se bâtir nombre de maisons en dur, briques ou parpaings.
[3] Ce qui est souvent le cas à la périphérie de Cayenne ou de Matoury, beaucoup moins souvent à Solan.
La Guyane accuse un retard que l’on pourrait qualifier d’exponentiel en termes de construction de logements, notamment sociaux, ce qui accélère le développement non maîtrisé de quartiers d’habitat dit « spontané[1] ». Ce terme est à mettre en relation avec ce qui est non autorisé ou non planifié par les pouvoirs publics et les acteurs de l’aménagement du territoire. Il s’oppose à la vision anticipée et technicienne de l’urbanisme de droit. »(cf. rapport AUDEG, 2013).
Faute d’alternative, et malgré sa précarité, l’habitat informel « spontané » constitue une réponse efficace en termes de logement. Toutefois, son développement rapide représente un défi urbain, sanitaire, social et environnemental majeur en Guyane et plus particulièrement pour la ville frontière de Saint-Laurent-du-Maroni où la croissance démographique est exceptionnellement élevée. Pour le relever, la Guyane doit inventer des politiques foncières, urbaines et de logement adaptées qui vont devoir s’appuyer sur les potentiels locaux et sur des processus de formalisation des pratiques informelles.
[1] Cet habitat est défini comme « la construction sans titres, ni droits, de terrains physiquement disponibles ».
Ainsi que j’écrivais dans une précédente chronique, le 6 mai 2021 s’est tenue une table ronde sous l’égide du Sénat[1] au cours de laquelle la Maire de Saint-Laurent-du-Maroni a dressé un état des besoins assez préoccupant : « Saint-Laurent est une ville comptant officiellement 45 000 habitants[2], mais qui en réalité serait plus proche du nombre de 70 000 ». Or, d’après Madame la Maire, 60% du logement sur le territoire communal est en situation informelle. Le nombre de résidents en habitat informel (ou spontané comme on voudra bien l’appeler) varie donc de 27 000 à 42 000 selon qu’on se base sur le chiffre de 45 000 habitants ou celui de 70 000. Et encore, « nous sommes dans une approximation plutôt grossière, car on peut considérer que ce sont les familles comptant le plus grand nombre d’enfants qui vivent le plus souvent dans ce type d'habitat. L’offre est quantitativement insuffisante, et elle est trop peu diversifiée. Nous n’avons pas assez de logements intermédiaires et ils ne sont pas forcément adaptés à la structure familiale guyanaise. Nous avons besoin de plus de T6 ou de T7 ».
« Nous sommes souvent sur des logiques d’opérations isolées, et pas sur des logiques de quartiers, avec des équipements structurants comme des écoles ou des structures sportives. C’est un vrai souci. De plus, on ignore trop souvent les modes de vie locaux. Avec un taux de chômage supérieur à 40 %, les gens restent beaucoup dans leurs quartiers, qui ne sont pas adaptés en matière d’équipements collectifs et qui ne sont pas pensés pour une telle présence ».
L’habitat spontané se développe dans des quartiers le plus souvent insalubres qui n’assurent pas les fonctions et services urbains essentiels. L'électricité est captée par raccordement bricolé au secteur (il faut bien que les collégiens et les lycéens fassent leurs devoirs à la maison, tout de même !), ou bien l'eau potable, quand elle est disponible, peut atteindre aux bornes de distribution avec cartes prépayées un prix compris entre deux et quatre euros...
Toutefois, l'habitat spontané ne se résume pas à ces manques et renvoie à une grande diversité de réalités urbaines et sociales. Citons au hasard le temps infini qui s’écoule entre l’annonce et la réalisation d’un projet immobilier, les frais occasionnés par l’obligation d’importer des matériaux de l’Hexagone (pour des raisons de normes) et l’impossibilité de les acheminer vers l’intérieur autrement que par pirogue, ce qui a pour effet, a minima, d’en tripler le prix. « On ne pourra nier que le facteur temps a son importance. Lorsque l’instruction d’un projet immobilier prend trois ou quatre ans, comment s’étonner que pendant ce temps, l’habitat spontané ait occupé l’espace ? »
On le voit, les modes de fabrication de la ville informelle sont à la fois déclencheurs et conséquences de l’action publique. Les savoir-faire des habitants ainsi que les principes de négociation sont au cœur des processus toujours mouvants de construction et d’évolution de ces morceaux de ville non planifiés par les institutions. La richesse des pratiques et savoirs locaux incite ainsi à revoir les stéréotypes concernant l’habitat et l’habitant.
Nous examinerons dans une prochaine chronique les pratiques et stratégies utilisées par les populations en voie d’installation dans la deuxième commune la plus peuplée de Guyane. Avec 70 000 habitants dans les années 2020, Saint-Laurent-du-Maroni devrait en atteindre près de 135 000 en 2030 (GRET, 2013) et dépasser ainsi Cayenne. Cela devrait avoir pour effet de bousculer quelque peu les pratiques institutionnelles tant au niveau national que territorial.
OKwadjani
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