Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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MARRONNAGE À L'AÉROPORT

16/10/2013

Une lecture peut être inutile...

 

Huit panneaux à dominante verte (la forêt !) sont disposés dans le hall de l'aéroport Félix Éboué de Cayenne, entre les caisses automatiques de paiement du parking et les toilettes. Exposition ? non, juste du texte à lire. À cette heure d'attente des passagers arrivant de Paris, j'ai l'impression d'être seul devant ces huit panneaux placés en quartier de lune, comme un piège prêt à se refermer sur la mémoire collective de lecteurs improbables.

 

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Un texte, donc, même pas d'illustration. Pour une « exposition », on n'y met guère de bonne volonté ! Tant pis. Muni de mon téléphone qui ne capte guère le réseau mais qui fait des photos, j'ai pu capturer ce texte sans saturer ma carte mémoire. Je vous en livre des passages parmi les plus significatifs, qu'il faudrait lire en fonction de trois axes qui m'ont semblé être révélateurs d'une vision réductrice du marronnage : fuite, poursuite et survie.

 

« Pour fuir, ne pas être repris et survivre en marronnage, plusieurs conditions devaient être réunies. Souvent évoquée, la configuration du pays fut un facteur favorisant mais aussi contraignant.

Plusieurs historiens et témoins d'époque soulignent que la géographie de la Guyane facilitait la fuite des esclaves, le pays [étant] pour ainsi dire sans bornes, extrêmement montagneux, et boisé de toutes parts, le fugitif peut « disparaître » dans les « grands bois »[...]

Par contre, Marie Polderman (historienne, auteure d?une thèse de doctorat à l'Université de Toulouse le Mirail : « La Guyane française 1676-1763, Mise en place et évolution de la société coloniale, tensions et métissage », 2002) souligne justement que la forêt n'est pas toujours hospitalière et qu'il est difficile d'y vivre en autarcie. Pour cette historienne, la survie dans les bois ne pouvait être que collective.

Cette opinion est corroborée par les archives du grand marronnage qui attestent du mode de vie communautaire des bandes. Le nombre favorisait aussi la résistance aux attaques des milices et gendarmes. Les échecs récurrents de ces expéditions permettent en outre de penser que les marrons avaient fréquemment des informateurs extérieurs.

Les campements prenaient la forme de véritables villages et les activités de subsistance (chasse, pêche, agriculture), en sus des rapines ou pillages dans les habitations, réclamaient des bras. Généralement, les bandes dérobaient des fusils et outils agricoles sur les habitations. [...]

Sur un même plan logistique, il faut rappeler que certains marrons s'évadaient par voie fluviale ou par mer en dérobant un canot. C'est le cas, en 1826, de 25 esclaves de l'habitation Joséphine. En vertu de l'ordonnance coloniale du 19 avril 1823, la peine maximale est la mort en cas de vol ou de projet de vol d'une embarcation. Pourtant en 1830, le gouverneur Jubelin déclare que « l'évasion des esclaves par mer devient depuis quelques temps très fréquente ». [...]

Diverses mesures furent mises en œuvre pour retrouver les marrons, les affaiblir ou les convaincre de revenir sur les habitations. Elles impliquaient plusieurs acteurs, des maîtres aux esclaves.

Dans les 48 heures, le maître doit déclarer la disparition de l'esclave au commissaire-commandant du quartier. S'ensuit la publication d'un avis identifiant précisément le marron. Dans les faits, le maître ne déclare pas toujours le fugitif, préférant faire justice lui-même ou éviter des sanctions judiciaires qui le priveraient de l'esclave. En 1837 de telles omissions sont punies d'amende. [...]

Un délai d'un mois est laissé aux marrons avant que les détachements ne soient lancés à leur poursuite. Une réglementation locale adoptée en 1720 accorde amnistie et pardon à tout fugitif qui reviendrait sur l'habitation dans un délai d'un mois.

Des expéditions militaires sont organisées contre les bandes. Ces « chasses » sont menées par des détachements divers: soldats de la garnison, milice composée d'habitants, « gendarmes de couleur » regroupant esclaves et marrons «repentis». En récompense de sa participation, cette dernière formation reçoit vêtements neufs, pécule ou liberté. [...]

Le repérage des groupes dans la forêt est difficile et les Marrons sont informés de l'arrivée des troupes. Les expéditions sont donc souvent infructueuses. Les soldats détruisent néanmoins systématiquement les abattis et les campements pour réduire la capacité de survie des groupes en forêt (serait-ce Harpie* avant l'heure ? NdTémoin).

Parfois, des religieux jouent les médiateurs pour convaincre les marrons de revenir sur l'habitation.

Chaque envoi de détachement étant onéreux et souvent inefficace, les autorités ont aussi recours à l'amnistie surtout lors des fêtes de Noël. [etc. etc.] ».

 

* Rappelons qu'Harpie est le nom de code donné aux opérations de lutte contre les orpailleurs, à défaut d'éradiquer l'orpaillage. Mêmes causes, mêmes objectifs, mêmes moyens... et mêmes résultats).

 

 

Alors, les Marrons... fuyards ou combattants ?

2013.jpgDans le même temps, ces jours-ci vient de se refermer la huitième Biennale du Marronnage de Matoury.

Le thème en était : « croyances marronnes ». Petite présentation : « Pendant longtemps, l'approche historique de la traite négrière et de l'esclavage s'est focalisée sur l'aspect matériel et mercantile du commerce triangulaire consistant au transport de bimbeloterie de l'Europe vers l'Afrique, de marchandise humaine de l'Afrique vers le nouveau monde, de produits tropicaux du nouveau monde vers l'Europe, l'existence d'une âme chez les Noirs d'Afrique, comme chez les Amérindiens d'ailleurs, étant remis en cause par une large fraction du monde ecclésiastique.

Cette attitude était évidemment paradoxale dans la mesure où la Papauté avait privilégié l'Espagne catholique pour la conquête du nouveau monde en lui confiant la mission d'évangéliser tous les peuples conquis.

Ce paradoxe atteint au paroxysme quand on sait qu'avant leur embarquement sur les bateaux négriers, les Africains étaient baptisés de force, alors qu'il leur était attribué un statut d'être inférieur, pour justifier leur mise en esclavage.

Si après la controverse de Valladolid il fut admis que les Amérindiens pouvaient avoir une âme, cette possibilité restait refusée aux noirs.

C'est sans doute cette position de la Cour d'Espagne qui explique la survivance de bon nombre de croyances africaines fondées souvent sur l'animisme, en dépit de l'évangélisation progressive des esclaves.

Cette dualité cosmogonique mêlant, à la fois, le polythéisme des croyances animistes et le monothéisme chrétien a donné naissance à un syncrétisme religieux dont les manifestations les plus remarquables sont exprimées dans la Santería cubaine ou mexicaine, le vaudou haïtien ou la macumba brésilienne ».

 

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Au cours de ces quelques jours se sont succédés conférences, concerts, spectacles et animations comme le salon littéraire et le forum de l'artisanat, toutes manifestations qui montrent que le marronnage n'est pas un objet historique figé mais que cela procède, de nos jours encore, d'une démarche émancipatrice et jubilatoire.

 

À l'aéroport, c'est raté. Pourtant, la métaphore du voyage comme temps de passage et de mouvement aurait pu aider...

 

Vous pouvez relire une des communications données au cours de cette biennale, sur ce même blog, en cliquant ici.

 



16/10/2013
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