Du retard de « L' ÉGALITÉ RÉELLE » - La chronique d'Olson
27/10/2021
Madame le Maire, j'ai l'honneur de...
J'étais hier chez la jeune sœur d'un de mes anciens camarades étudiants. Elle est désormais âgée de vingt-deux ans et élève seule ses trois enfants tout en assurant - de plus - les soins de son père malade et handicapé, mais sans papiers ni couverture sociale. En situation d'emploi précaire, elle est en recherche d'un contrat de travail pérenne ou d'une formation pouvant le lui garantir à l'avenir. En attendant, habitant ce qu'il est convenu d'appeler pudiquement un « quartier d'habitat spontané » dont je tairai le nom, à la périphérie de Saint-Laurent du Maroni, elle a décidé de déposer une demande de logement social et m'a demandé de vérifier que sa lettre était correctement rédigée.
Premières observations : des constats effrayants...
Avec une démographie galopante, les besoins en termes de logements sociaux explosent. Faute de réponse adaptée des autorités, l’habitat informel gagne du terrain. Voyons-en quelques causes.
Avant la guerre civile qui a déchiré le Suriname de 1986 à 1992, Saint-Laurent-du-Maroni était un gros bourg de 8 000 habitants. En six ans, 25 000 personnes fuyant le conflit se sont réfugiées en Guyane, pour la plupart à Saint-Laurent et ses environs. Mais pour la France, il n’était pas question d’accorder le statut de réfugié à ces personnes que l’on espérait voir regagner promptement leurs pénates une fois le conflit terminé. Pas question donc, qu’ils s’établissent et encore moins qu’ils fassent souche. Des camps sont alors dressés sous la supervision de l’armée pour accueillir ces « personnes du Suriname temporairement déplacées ». Mais l’Histoire, avec une H majuscule, réservait à notre pays-terre-d’accueil un magnifique mais dramatique pied-de-nez : d’une part, parce que depuis des siècles, les Businenge, héritiers des Noirs marrons ayant fui les plantations esclavagistes, vivent de part et d’autre du Maroni et n’ont jamais vu dans le fleuve une frontière. D’autre part, des familles entières furent placées dans ces camps, à la sortie de Saint-Laurent en direction de Saint-Jean, à Charvein, sur l’Acarouany, etc. Pas question pour les hommes de sortir pour aller travailler, pas d’accès à l’école pour les enfants en dehors de quelques militaires appelés, sur la base du volontariat, ou des missionnaires religieux toujours prompts à surgir de nulle part pour aller enseigner aux jeunes enfants la lecture et l’écriture sur la base de textes religieux.
On notera en passant que ces enfants non scolarisés il y a trente ans sont les actuels parents des jeunes que nous avons de nos jours dans nos écoles, collèges et lycées de la République. Ces mêmes parents qui, aux dires de certains enseignants (pas tous, heureusement), « ne s’intéressent pas à ce que font leurs enfants à l’école »… Pourquoi s’en préoccuperaient-ils d’ailleurs, eux qu'« on » n'a pas autorisés à y aller lorsqu’ils étaient les hôtes de la République ?
La périphérie de nos villes...
Selon Pierre George, géographe sociologue (1909-2006), le terme d’habitat spontané serait proposé pour désigner une forme d’occupation de fait d’une fraction de sol urbain par des populations pour qui l’accès aux formes légales de logement est impossible, soit pour des raisons d’incompatibilité légale (sans-papiers) soit par un manque chronique de constructions à loyer social. Ces habitations regroupées sont en général faites de planches, de carton bitumé ou de tôles ondulées. Un groupe familial s’y retrouve en général regroupé dans une pièce unique. Il faut aller chercher et y rapporter l’eau, et l’électricité, si elle est présente, est détournée du service de distribution publique par des branchements illégaux d’où le risque létal est rarement absent.
Le 6 mai dernier s’est tenue une table ronde sous l’égide du Sénat au cours de laquelle Sophie Charles, maire de Saint-Laurent du Maroni, a dressé un état des besoins assez préoccupant :
Saint-Laurent est une ville comptant officiellement 45000 habitants, mais qui en réalité serait plus proche de 70000 habitants. Or, d’après Madame la Maire, 60% du logement sur le territoire communal est en situation informelle. Le nombre de résidents en habitat informel (ou spontané comme on voudra bien l’appeler) varie donc de 27 000 à 42 000 selon qu’on se base sur le chiffre de 45 000 habitants ou celui de 70 000. Et encore nous sommes dans une approximation plutôt grossière car on peut considérer que ce sont les familles comptant le plus grand nombre d’enfants qui vivent en habitat informel ou spontané.
Pourquoi un tel écart entre l’offre et le besoin ?
Madame Charles explique : « L'offre est quantitativement insuffisante, et elle est trop peu diversifiée. Nous n'avons pas assez de logements intermédiaires et ils ne sont pas forcément adaptés à la structure familiale guyanaise. Nous avons besoin de plus de T6 ou de T7 ». Que voilà une remarque lucide ! Il est bien évident qu’on ne vit pas correctement dans un T3 ou T4 avec une famille de huit enfants…
« Nous sommes souvent sur des logiques d'opérations isolées, et pas sur des logiques de quartiers, avec des équipements structurants type écoles, équipements sportifs. C'est un vrai souci. De plus, on ignore trop souvent les modes de vie locaux. Avec un taux de chômage supérieur à 40 %, les gens restent beaucoup dans leurs quartiers, qui ne sont pas adaptés en matière d'équipements collectifs et qui ne sont pas pensés pour une telle présence ». Ici encore je dois saluer le point de vue de la Maire, entre clairvoyance et lucidité.
Mais, me direz-vous, pourquoi ce retard dans la construction immobilière ?
Au cours de recherches documentaires, j’ai trouvé des causes possibles à cela. Le problème, c’est qu’aucune d’entre elles ne permet d’expliquer à elle seule le gouffre qui sépare l’offre et le besoin. Si celui-ci augmente de façon exponentielle, celle-là a eu beaucoup de mal à décoller ces dernières années (Mais que sont devenus les accords de Guyane ?). Parmi ces causes, il en est de structurelles, de conjoncturelles et d’humaines. L’énonciation en serait longue et fastidieuse, mais citons au hasard le temps infini qui s’écoule entre l’annonce et la réalisation d’un projet immobilier, les frais occasionnés par l’obligation d’importer des matériaux de l’Hexagone pour des raisons de normes et l’impossibilité de les acheminer vers l’intérieur autrement que par pirogue, ce qui a pour effet a minima d’en tripler le prix.
L’on pourra exprimer que le facteur temps a son importance. Lorsque l’instruction d’un projet immobilier prend trois ou quatre ans, comment s’étonner que pendant ce temps, l’habitat spontané ait occupé l’espace ?
D’autres raisons peuvent également être évoquées, comme la valse - pardon, on dit turn-over - des cadres et décideurs, certains passant d’une institution à l’autre, d’autres partant sous d’autres ciels à la recherche d’autres primes…
À ce propos, on me dit dans l’oreillette que certaines assiettes de terrain, guidées par un ex-élu, auraient pu échoir à certaines de ses connaissances, soit en leur nom propre, soit au nom d’une des institutions qu’ils représentent… le temps de laisser monter les prix du marché immobilier…
Tout de même, des terrains cédés avec jolie plus-value car désormais devenus constructibles une fois réglée la question de l’habitat spontané qui aurait pu, entre-temps, s’y établir… Je n’ose y croire !...
Voilà pourquoi j'étais hier chez cette jeune femme, toujours en attente d'un contrat de travail pérenne ou d'une formation pouvant le lui garantir à l'avenir. Elle rédige sa lettre de demande d'un logement social, depuis ce qui continue de s'appeler pudiquement un « quartier d'habitat spontané ». OKwadjani
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