LA RÉSISTANCE À L'ÉDUCATION ASSIMILATRICE est-elle un héritage du marronnage ? la chronique d'Olson (13)
04/06/2020
Cet article prend sa place dans une suite de chroniques qui paraissent régulièrement sous la plume d'Olson Kwadjani, un jeune conteur-poète que j'ai invité à venir s'exprimer sur le site « Un Témoin en Guyane ».
Olson est un jeune Businenge possédant de la famille des deux côtés du Maroni. Il se déplace au gré de son courant de vie d'une rive à l'autre du fleuve et, par conséquent, il a toute légitimité pour se définir comme libasama, habitant du fleuve, transfrontalier.
Son regard affûté de jeune de moins de trente ans lui permet de poser un avis parfois dérangeant mais toujours pertinent sur l'actualité guyanaise et française. Gageons qu'il nous offrira une fois ou l'autre une réflexion sur l'actualité Surinamaise lorsqu'elle viendra interagir sur la vie du bassin du Maroni-Mawina.
LA RÉSISTANCE À L'ÉDUCATION ASSIMILATRICE...
par Olson Kwadjani
Chez nous en Guyane, plus que partout où autrefois a sévi l’esclavage, émerge une composante majeure en mémoire de la résistance absolue à l’asservissement, celle qui fut et demeure le marronnage historique, aujourd’hui un héritage universel. La marronnabilité est une grille de lecture qui d’une histoire commémorable (pour ce que l’on en sait), fait un levier fédérateur de volonté transcendante d’unité. Ici, mille aspects sont retenus par les Mémoires locales : des faits, des événements essentiels depuis les premiers jusqu’aux derniers jours de la traite… que ce soient des noms, des figures emblématiques, des personnages mythifiés, tous sont les héros d’une marronnabilité de tous les temps comme d’une inachevable abolition qui demeurerait celle des inégalités d’hier comme de celles d’aujourd’hui.
Seule une Marronnabilité contemporaine constante autorise ici une lecture apaisée et peut-être en de nombreux cas une réconciliation longtemps attendue. Ce qui est aujourd’hui un enjeu majeur pour la jeunesse de l’Ouest guyanais est le partage de sources historiques incontestables et, ne serait-ce ici que par les conséquences immédiates de leur prise en compte dans la vie quotidienne et les mémoires restaurées. Les faits sont têtus et leur interprétation invite partout et toujours au dépassement et à une identification plurielle de cet héritage contemporain.
Dans le même temps, nous ne pouvons oublier que cet enjeu, dès qu’on l’étend à une société post-coloniale dont l’esprit et le fonctionnement restent insuffisamment achevés, présente pour de nombreux jeunes un risque élevé de cristallisation de la violence urbaine : des comportements agressifs, impulsifs et antisociaux qui procèdent d’une vision du monde schizoïde et peuvent difficilement ne pas être, en Guyane associés à une radicalisation induite. Les relais habituels, importés d’une thérapeutique occidentale aggravée par des addictions aux antipsychotiques du type Aldol ou Halopéridol, montrent par là leur efficacité limitée.
Pouvons-nous accepter que des dérives comportementales soient traitées au prix d’une addiction ?
Il importe ici de rester en alerte pour combattre toute forme de radicalisation auprès des jeunes repérés dans les villages et kampu du Maroni mais aussi de poursuivre, particulièrement chez les ex-détenus, toutes les actions de déradicalisation afin d’enrayer tout esprit de nuisance racialisé et/ou ciblé vers le système occidental, car il est établi que souvent ces jeunes souffrent, de fait, de pathologies mentales induites, peu à peu construites et finalement avérées. Il faut préciser que les effets de ces souffrances mentales sont, pendant une détention, lourdement aggravées par la dépendance sévère à une forme de cannabis hybride très addictif (le dyamine) qui circule sans trop d’entraves au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly.
Il s’agit donc collectivement (autorités coutumières, tradipraticiens, éducateurs…) d’élaborer des stratégies efficaces de prévention de cette menace sécuritaire et empêcher les jeunes personnes en grandes difficultés psychiques de commettre des actes extrémistes ou terroristes violents. Il s’agit d’une attention permanente qui sait distinguer les niveaux de dangerosité de ces jeunes radicalisés. Ce sont de longues séances de thérapies traditionnelles, ethno-analyses et bains phytho-thérapeutiques. Une praxis parfaitement adaptée aux situations productrices de souffrance, et qui freine considérablement les mécanismes de passage à l’acte. L’accompagnement sera collectif et traditionnel ou ne sera pas. Parce que seules les pratiques culturelles pourront réparer les fractures culturelles.
Et parce que je ne veux plus entendre un jeune, comme Jakob, 17 ans, déclarer :
« Mi o kiri ala den Bakra » (Je vais tuer tous les Blancs).
Olson Kwadjani
Illustrations : les tembe (en partant du haut)
1. Go da yu kon yu sa membre sa yu si
Va, reviens et souviens toi de ce que tu as vu
62x43 Antoine Lamoraille 2001
2. kengi yu libi na gudu yu abi
Change ta vie c'est ta richesse
65x62 Todo 2001
3. Na dede poli sani
C'est la mort seule qui peut détruire les choses
84x183 Antoine Lamoraille 1998
4. san de ini mi ati mi no e puru trowe
Ce que j'ai dans mon cœur, je ne le renie pas
65x62 Todo 2001
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