QUE NOUS FONT SAVOIR LES MULES SUR ELLES-MÊMES ? - La chronique d'Olson
29/08/2021
Si l'audace n'est pas une habitude, elle est néanmoins supérieure à toute autre sensation...
Le système qui s’étend de la Colombie à la Guyane en passant par le Venezuela, le Guyana et le Suriname et reposant sur l’utilisation de jeunes mules par des trafiquants parfois internationaux est devenu trop massif pour être traité par de simples bonnes intentions et des réunions infécondes entre sénateurs et autres élus. Dans un contexte de méconnaissance du phénomène des mules en général, et en Guyane en particulier, on observe une diversité de discours et de représentations portant sur les causes de l’implication des individus dans le phénomène. Les représentations dominantes tendent à nier le contexte social et économique dans lequel s’ancrent les individus pour davantage insister sur leur vénalité personnelle.
Le phénomène des mules est marqué par une augmentation exponentielle et, paradoxalement, par sa banalisation. Dans ce contexte, en l'absence d’étude sérieuse sur cette question, on assiste à l’émergence de représentations diversifiées et concurrentes – voire contradictoires – sur les causes de l’implication des individus dans le trafic de cocaïne, en tant que mule.
Au su de ladite augmentation, nous voyons bien que ce ne sont pas des mesurettes saupoudrées de trop peu de velléités qui vont endiguer le phénomène, en se contentant d’envoyer au centre de rétention de Rémire des jeunes qui ont eu le tort de penser que l’obia les accompagnerait dans leur opération.
Dans l’Ouest guyanais, le développement rapide du phénomène des mules se traduit par sa banalisation. , il ne relève plus de l’exception – ou de l’écart par rapport à la norme – mais tend à devenir une norme, dans certains contextes. C'est du moins ce que souligne un certain nombre d'acteurs locaux : banalité du système et facilité d’y accéder. Absence de tabou et parole libérée sont les clés qui ouvrent les chemins d'accès au système, qui ne sont plus des obstacles pour qui veut y entrer.
Une autre caractéristique de ce système le rend complètement atypique : les mules ne sont pas des dealers, ni des consommateurs. Ils transportent, point. Qu'est-ce que cela doit nous dire ?
- Tout d'abord, peut-on parler d'immoralité, voire d'amoralité chez des jeunes descendants de Marrons chez qui les concepts vecteurs d'assimilation ne sont pas transposables ? Rien ne s'oppose donc à ce que « faire la mule » devienne une entreprise comme les autres. Illégale bien sûr, mais il y en a tant d’autres...
Des entretiens menés auprès de lycéens et de lycéennes ont montré que ceux-ci s’exprimaient avec facilité à ce sujet soigne une fois de plus de la banalisation du phénomène, qui est n’est pas perçu comme tabou par les jeunes, mais comme un « ordinaire », auquel ils sont régulièrement confrontés dans leur quotidien. Ils en connaissent le processus, les modus operandi, les précautions à prendre... et les risques encourus. « Quand on mange après avoir avalé les boulettes, on risque l'hôpital où même la mort... On va chercher les capsules au Suriname mais on revient ici pour les avaler... On risque trois ans de prison, cinq si ce n'est pas la première fois »... Tous, garçons et filles, ont des connaissances (amis, frères, sœurs, cousins, voire oncle ou tante) qui ont tenté le voyage, avec ou sans succès.
Nous allons laisser de côté les facteurs sociaux qui, la plupart du temps ne sont que des facteurs déclenchants, après un événement touchant la famille : un toit de tôles à changer, l'arrivée d'un bébé, une dette à rembourser... Pour regarder les caractères spécifiques sur lesquels nous pouvons nous appuyer. Ils sont deux.
1. l’origine géographique des mules. Le phénomène des mules tend à être concentré à l’Ouest guyanais et, plus précisément, aux rives du fleuve Maroni, même si des acteurs de terrain signalent des cas dans le Centre et dans l’Est guyanais.
2. l’âge des mules. Elles sont le plus souvent catégorisées comme étant « jeunes ». Or, il semble que le phénomène des mules ne se cantonne pas aux individus de moins de vingt-cinq ans. Il est de moins en moins rare de trouver, incarcérés pour transport de cocaïne, des hommes et des femmes d'âge mûr, quadragénaires et au-delà. Surtout, l’appartenance des mules à la catégorie « jeunesse » doit être relativisée, car la surreprésentation des jeunes parmi les mules reflète la structure de la population guyanaise.
Rappelons qu'un habitant sur deux a moins de vingt-cinq ans et que près de 70% auraient moins de trente ans.
Malgré son ampleur, le phénomène des mules reste relativement méconnu, autant du point de vue du volume d’individus concernés que des caractéristiques de ceux-ci. Cette méconnaissance du phénomène est encore plus marquée dès lors qu’il s’agit d’accéder à une analyse des raisons et des causes. Seule certitude : l’Ouest a été et reste le plus impacté, majoritairement.
Le constat est significatif : c’est parmi la population businenge que se fait massivement le recrutement des mules. Compte tenu de la littérature déjà consacrée au marronnage contemporain, peut-on faire l’économie d’une vraie réflexion dans ce domaine ?
Tout d’abord il est évident que la jeunesse nous montre que la « morale » n’est pas où on l’attend. On fait porter aux jeunes la responsabilité d’être dans le plaisir du marronnage, et c’est tout naturellement que se fait, dans le regard de l’observateur lointain, le glissement du concept d’émancipation vers celui de transgression. En retour, cette jeunesse ne peut que nous renvoyer la question : « Qui fait les lois, pour protéger qui ? » ce qui nous indique clairement que, pour elle, morale veut dire soumission… impensable pour un Marron. Surtout après avoir réalisé qu’une telle soumission ne garantit en rien un avenir serein.
Alors ? « Plutôt que se faire niquer, on nique » nous répond-on. Mais pourquoi refuser l’offre d’une société qui vous permet, à 26 ans, de toucher un RSA équivalent au salaire de fin de carrière de votre oncle qui habite de l’autre côté du fleuve, au Suriname ? À quoi bon « niquer » le système en mettant en cause ce qu’il offre ?...
Mais... parce que là se trouve le plaisir suprême : « je refuse l’offre, je nique le système puisqu’il n’a plus de prise sur moi ».
On m’opposera sans doute des arguments (beaucoup ? pas si sûr…) afin de me mettre en porte-à-faux avec une vérité officielle tendant à placer l’origine du passage à l’acte dans des problématiques individuelles. Pourtant, je conviens que le marronnage est un acte individuel. Alors, où se trouve la « vraie » réponse ?
San na taki tru te yu no sabi san na a tru ?
Qu’est-ce que le parler vrai quand tu ne connais pas la vérité ?
OKwadjani
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