UN ÉTAT DES LIEUX SOCIAL DE L'OUEST GUYANAIS
11/06/2022
Il y a une dizaine d’années, le seul quotidien papier de Guyane, désormais défunt, dont le principal fonds de commerce était le braquage nocturne de stations-service et dont le cœur de cible électorale était principalement cayennais, citait : « Dès qu'une équipe de basket se rend à Saint-Laurent pour jouer, soit elle perd, soit le match est interrompu pour bagarre ou autres... À bon entendeur, salut ».
Une problématique était posée, mais brutalement, à la manière d’un couperet qui s’abat sur le cou d’un irrécupérable malfaiteur. Mais ne demanderait-elle pas tout de même à être décryptée ?
Cette remarque a fait tache d’huile et pourrait à elle seule décrire un certain nombre de faits plus ou moins récents mais survenus dans quasiment l'ensemble des communes de l'Ouest guyanais, qu'il s'agisse de bagarres, d'accidents ou de délinquance.
La réputation court, désormais.
Par le gros bout d'une lorgnette placée devant un œil qui ne parcourrait que la surface des choses, les faits divers de ce type vont prendre le pas sur le reste des événements locaux, voire les gommer tout à fait, jusqu'à nous persuader que l'Ouest guyanais, c'est le Bronx. De tels faits ont deux points communs, il est vrai : ils sont violents d’une part, d’autre part ils sont en quasi-totalité perpétrés par des jeunes. Si l'on considère qu'au minimum 70% de la population a moins de 25 ans dans cette région ce n'est pas étonnant. Mais au-delà des statistiques le malaise est considérable, en progression, et vraisemblablement durable.
Un rappel historique
En quelle année sont nés les jeunes qui ont trente ans de nos jours ? En quelle année la guerre civile, « en face », a-t-elle pris fin ?
« La France et le Suriname ont une frontière fluviale (le Maroni) de 520 km. La guerre civile a provoqué l’afflux en Guyane de réfugiés surinamais, noir-marrons de l'intérieur, dont des milliers sont restés. Depuis la réouverture de la frontière (décembre 1991), les courants d'échanges traditionnels ont pu reprendre[1] ».
« À aucun moment la France n'a voulu [leur] accorder le statut de réfugié: les Surinamais ne sont que des personnes déplacées à titre temporaire et, du fait que ce déplacement est pensé comme temporaire, il [n’est pas apparu] nécessaire aux autorités de leur octroyer le statut de réfugié, statut avantageux à plus d'un titre, puisqu'il accorde quasiment les mêmes droits que les nationaux, par exemple le droit au travail ».
Les raisons de ce refus sont multiples. La France peut avoir voulu éviter l'afflux d'une population dont une fraction est armée, de façon à assurer à la base spatiale de Kourou le calme et la sécurité indispensables à son fonctionnement. De plus, en refusant, jusqu'à nos jours, l'octroi du statut
de réfugié, elle espère ralentir l'exode de l'autre côté du Maroni. Enfin, les réactions des élus politiques guyanais pourraient être violentes si la France accordait ce statut à neuf mille immigrants, ressentis comme indésirables par une majorité de Guyanais, et surtout de Saint-laurentais dont la commune [au début du conflit civil] regroupait sept à huit mille habitants et recevra pendant les hostilités environ le même nombre de réfugiés non reconnus comme tels.
Ce refus d'accorder le statut de réfugié conduisit la France à refuser la prise en charge [de ceux-ci] par le Haut-Commissariat aux Réfugiés.
Ainsi, assume[-t-elle] la totalité des frais de fonctionnement (hébergement, nourriture, soins médicaux ?), qui se sont élevés pour l'année 1987 à 52 millions de francs et dont 36 ont été dépensés dans le département de la Guyane[2] ». Cette situation sociale, médicale et politique aura duré six ans, plongeant Saint-Laurent-du-Maroni et ses environs dans une situation difficile, notamment pour l'Hôpital (André-Bouron à l’époque), qui mit des années à se re-stabiliser sur le plan financier. Mais il n'y a pas que l'hôpital qui eut du mal à s'en remettre. L'alternative pour ces personnes déplacées, une fois le conflit calmé, était le retour ou l'assimilation.
Le retour
Il fut très difficile, pour deux raisons principalement. Tout d'abord, par peur d'une instabilité pas toujours résorbée. Des troubles éclataient parfois insidieusement, parfois des années après la fin du conflit. Les règlements de compte, mais aussi toutes les convictions relatives aux yorka[3] qui peuvent soit protéger, soit menacer ceux qui auraient la mort d’une personne à se reprocher (ce qui, en temps de guerre, est plutôt courant...) participaient de cette logique.
La seconde difficulté, c’était la différence de niveau de vie entre les deux régions. Les personnes déplacées avaient fait souche, mis au monde et élevé des enfants. Rappelons que le bassin du Maroni n’est pour ces populations qu’une seule région, liée au marronnage, et que, dans chaque clan, chaque bere, c’est la femme qui est maîtresse du choix de la terre où va s’établir son lignage. Des pères, des maris, des frères sont partis, parfois ne sont pas revenus. Pour des raisons évidentes de vie meilleure (ou supposée telle) on aura choisi de rester.
Là se trouve l'endroit où le bât blesse : des personnes sont « dépla-cées » et en situation illégale (voir plus haut). Les causes du refus de l'État français de leur accorder un statut se sont toutes révélées erronées : tout d’abord, éviter l'afflux de population, ralentir l'exode : ils sont venus, ils sont restés et la population de Saint-Laurent passe du simple au double. Ensuite, calmer l'hostilité des élus guyanais : ceux-ci sont impuissants à échapper à l'emprise de leurs électeurs, cela d'autant plus que pour des raisons évidentes de popularité on n'hésite pas à désigner l'Autre, le plus démuni que soi, comme responsable d'une situation économique exsangue et d'une situation sociale ressentie comme anxiogène.
[3] Esprits des défunts qui peuvent soit protéger soit, s’ils le veulent, menacer et nuire.
On le voit, l’assimilation, que j’ai déjà amplement évoquée dans de précédentes chroniques, n’apporta ni paix sociale durable, ni coup de pouce au développement : pas de travail, pas de formation, peur de l'Autre, système éducatif insuffisant pour accueillir tous ces enfants, non francophones, en plus. La spirale de l'exclusion est en place.
OKwadjani
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