Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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UN POUVOIR COLONIAL BIPOLAIRE

21/11/2022

 

Parce que les promesses n'engagent...

 

téléchargement (1).jpgLa Guyane française est un lieu stratégique pour Paris. Le Centre Spatial d’où sont lancés des satellites européens et russes justifie tous les efforts de l’État centralisé. Mais ici, dans l’unique territoire « colonial » qui subsiste en Amérique du Sud continentale, il y a une résistance,  indépendantiste qui a de vrais arguments.

« Rien n’est comme cela devrait être en Guyane française. Elle est française, mais ce n’est pas la France. C’est la Guyane mais toutes les représentations le nient. C’est un lieu de haute technologie d’où sont lancés des satellites et des fusées spatiales, mais il n’y a pas de routes ni de transports publics. 40 % de la population (tous âges confondus, mais 70 % des jeunes) est au chômage absolu mais les prix sont ceux de l’Ile-de-France.

   

Essayons de comprendre pourquoi… 

0074.JPGSous une apparence de normalité, la Guyane française est une destination privilégiée pour les nouveaux « colons » français, qui viennent travailler pour quelques années dans l’administration ou bien au Centre Spatial Guyanais mais qui est en réalité Européen ou Russe (qui l’était, en tout cas jusqu’à l’invasion de l’Ukraine lancée récemment par Poutine), mais non guyanais. Certains viennent sous des conditions qui peuvent s’apparenter à des ponts d’or, des conditions économiques magnifiques. C’est aussi une île dans laquelle ils vivent des populations traditionnelles ou autochtones, dans une somnolence nourrie par la politique des aides de Paris et par la promesse d’être Européens.

Mais comme chacun sait, les promesses n’engagent que ceux ou celles qui y croient !

« Je ne sais pas si je suis français ou guyanais. Je ne sais pas si j’ai les droits des premiers ou si je suis un citoyen de seconde zone », explique ce militant indépendantiste.

Les organisations autonomistes ou même indépendantistes sont peau de chagrin en Guyane. Citons ici les deux principales, même si elles ne s’illustrent pas par une combattivité très préoccupante pour le pouvoir central.

Tout d’abord, le MDES (Mouvement de décolonisation et d'émancipation sociale), aux idées fondatrices intéressantes mais à l’électro-encéphalogramme plat en dehors des périodes où le prince charmant électoral vient embrasser la princesse MDéESse sur la bouche pour tenter e la réveiller. En dehors des périodes électorales, comme la belle au bois dormant, il sommeille.

Ensuite, l’UTG (union des Travailleurs Guyanais), qui se dit proche de la CGT hexagonale et prétend soutenir depuis une cinquantaine d’années l’idée de l’indépendance de la Guyane, mais encore une fois, sans que cette orientation soit suffisamment prioritaire pour inquiéter en quoi que ce soit le pouvoir central.

 

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Dirons-nous qu’un mouvement ou un syndicat qui ne se manifestent que cycliquement ont la moindre chance d’influer sur la politique d’un territoire ? En Guyane française il n’y a aucune organisation de la société civile ayant un regard politique sur la réalité. Il n’y a pas non plus d’organisations de Droits de l’Homme. Tout au plus, et je vais me montrer sarcastique, parlera-t-on pour évoquer des exactions ayant eu lieu hors de notre sol, d’atteinte aux Human rights, un terme anglo-saxon présentant une acception plus globalisée qu’humanitaire, telle que l'assume notre déclaration des Droits de l’Homme.

Et mon interlocuteur de continuer : « c’est une colonie, une colonie raciste, nuance-t-il. Il y a une ségrégation, tous les chefs, tous les bons travaux sont pour les blancs. Les appels d’offre sont remportés par des entreprises de l’Hexagone. Il suffit de parcourir le pays pour confirmer cela. Les gendarmes sont blancs, les fonctionnaires sont blancs, les propriétaires d’hôtels sont blancs[1] les ingénieurs du CSG sont tous des métropolitains délocalisés[2], les militaires français sont majoritairement blancs… des Blancs de tous les côtés quand ils représentent 11 % de la population. Les Créoles, eux, représentent 40 % de la population et occupent la plupart des emplois-cadre dans la fonction publique. La fonction publique territoriale est entièrement entre leurs mains. Les entreprises de service ou gestionnaires (EGDF, SIGUY, Guyanaise des Eaux, opérateurs et fournisseurs d'accès téléphoniques et internet) également.

S'il est avéré que les profs et les infirmiers sont nombreux chez les Blancs, la tendance est au rééquilibrage Blancs/Créoles. Au niveau du pouvoir, la Haute-fonction publique (le préfet et son cabinet etc.) est tenue exclusivement par des Blancs. Le pouvoir politique territorial, lui, est exclusivement aux mains des Créoles.

S'il existe bien une « colonie raciste », la pression s'exerce sur les populations autochtones et migrantes ou étrangères par un pouvoir néocolonial bi-polaire, blanc-créole.

 

[1] Quand peu d’hôtels à Cayenne, la capitale, échappent à la catégorie boui-boui.

[2] je n'emploierai certainement pas le terme expatrié pour désigner une personne qui ne fait que changer de département...

Une politique coloniale ? Pour le MDES, « La France applique ici, depuis la seconde abolition de l’esclavage (1848) une politique systématique qui s’appuie sur trois piliers : assimilation, assistanat et division ».

L’assimilation est culturelle. 70 % des professeurs de l’enseignement primaire et secondaire en Guyane française viennent de la métropole et imposent un filtre européen qui nie l’évidence de l’histoire.

L’assistanat se prouve avec facilité dans les bureaux de La Poste. Là-bas il y a des queues presque permanentes des Français de seconde zone qui ont besoin des allocations pour subsister. « Cet argent les immobilise, me dit mon interlocuteur, mais je crois que cela les étourdit aussi, ça les rend dépendants ».

Mon partenaire insiste sur le fait la politique d’assistanat n'est pas un hasard et qu’elle a un effet bénéfique pour Paris. « Il y a 10 ans les gens étaient fatigués de la France et voulaient changer les choses ». Mais cela a changé, après une série de manifestations dans les colonies[1], la France a annoncé un référendum d’autonomie pour janvier 2010 mais avant elle a préparé le chemin.

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La division

La campagne du NON (scrutin de 2010 sur le passage à l'article 74 de la constitution déléguant un certain nombre de compétences à la région, l'Assemblée unique avant l'heure !) fut celle de la peur : « s’ils votaient Oui à l’autonomie alors disparaitraient les aides », se rappelle un autre membre du MDES. Résultat : 69,8 % des 67.000 citoyens en mesure de voter (sur une population de 250.000) ont dit Non à un changement de statut social qu’il ne leur donnait pas l’indépendance vis à vis de la France mais simplement une plus grande autonomie.

   

[1] Les départements d’outre-mer ?

Alors ? L’argent arrive et passe par la Guyane française, mais il n’est pas distribué. Un commerçant péruvien raconte avec fascination comment ici il y a plus de BMW ou Mercedes par habitant que dans aucun autre lieu de l’Amérique. Vaudrait-il mieux avoir un pouvoir colonial qu’une indépendance corrompue ?

 

téléchargement (2).jpgNouveau commentaire de mon interlocuteur : « La mentalité est ainsi. Je crois qu’aucun de nous ne peut expliquer les ravages que l’esclavage a laissés en nous. Le trafic d’esclaves a détruit l’être humain en nous et nous n’avons pas encore pu le reconstruire ». En effet. Si on y regarde de près, on verra qu’ils nous ont cantonnés à penser seulement à la religion, à manger et à avoir des enfants », conclut-il.

En réalité il semble que l’histoire se répète. La France n’a jamais prêté d’attention à ce territoire inhospitalier jusqu’à ce qu’elle perde la Guerre de sept ans[1] et, avec elle, le Canada, la Louisiane et l’Inde. Alors, elle s’est trouvée obligée de regarder Les Antilles et la Guyane comme zone de substitution pour l’approvisionnement. Ensuite elle a perdu de l’intérêt et elle a été réduite à être une province-prison avec Saint Laurent-du-Maroni et les Îles du Salut comme l’épicentre d’un trafic de prisonniers qui est arrivé à atteindre quatre-vingt mille têtes.

[1] Conflit européen qui opposa, de 1756 à 1763, l'Angleterre et la Prusse à la France, l'Autriche, la Russie, la Suède, l'Espagne et des princes allemands.

 

Mais les coordonnées de la Guyane française, si proches de l’Équateur, la rendaient idéale pour lancer des satellites, aussi la France a commencé à y retrouver un intérêt et à s’efforcer de maintenir sa colonie à cet endroit : toute aventure indépendantiste mettrait en danger la rente républicaine.

 OKwadjani

 

 

Retrouvez bientôt la prochaine chronique d’Olson sur Un Témoin en Guyane


21/11/2022
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