AFRO-DESCENDANCE ET AFRO-ASCENDANCE
05/01/2022
Je monte d'un tonnelier, de qui descendez-vous ?
Cette répartie de Louis Veuillot (1813-1883) à une dame imbue de ses origines peut nous amener à revisiter les notions d’ascendance et de descendance.
Durant les « Trente Glorieuses », l’ascenseur social était plutôt programmé dans le sens montant. L’enfant d’immigrant avait toutes les chances d’intégrer l’école de la République, et son insertion dans la société française était en général l’ambition que ses parents nourrissaient pour lui. Dans la société ségrégante qu’est devenue la France d’après 1990, paradoxalement, alors que le pays s’est globalement enrichi, la pauvreté est devenue plus manifeste.
À travers la construction personnelle et sociale qui nous amène à nous définir « descendants de… », il nous faut examiner le but d’une telle construction : valorisation d’enjeux générationnels, culturels, historiques voire territoriaux qui vont nous légitimer dans un costume que nous considérerons plus estimable que celui qui nous est désigné par le groupe dominant d’une société que nous reconnaissons de moins en moins comme nôtre.
Comment peut-on être afro-descendant ?
Un vrai défi pour nous, Noirs, Blacks, Nègres, Créoles et métis de tous poils, qui avons du mal à définir qui nous sommes vraiment, au prisme de ce que nous sommes. Les décennies de tentatives de déstructuration de nos identités y sont pour beaucoup. Heureusement, notre résistance à cette entreprise d’asservissement par assimilation génère à présent des résistances, à défaut de porter des fruits par paniers. Je me plais à répéter la phrase de Dany Laferrière : « Cette grenade dans la main du jeune Nègre est-elle une arme ou un fruit ? »
Nier notre part d’africanité ? Le défi se pose dans tous les territoires coloniaux, anciennement ou de façon pérenne aussi. Il n’est pourtant pas facile de se déclarer descendant, surtout lointain ou indirect, des peuples d’Afrique. Dans plusieurs pays, la société coloniale a prospéré sur la division entre Blancs et Noirs, entre possédants et esclaves. J’aime toujours rappeler que, si l’esclavage était un système économique, la colonisation reposait – et repose encore de nos jours – sur un rapport de type lutte des classes. À ceci près que l’appartenance à la classe prolétaire était brandie par Marx comme un motif de fierté, alors que l’auto-dévalorisation a toujours été instillée dans nos cerveaux par les religieux complices des planteurs esclavagistes.
Les stigmates de la société coloniale sont encore bien présents, de nos jours. Partout, les descendants des captifs africains devenus esclaves sont soumis à des formes plus ou moins larvées de discrimination sociale ou politique. Le Brésil et les États-Unis sont les champions de ce racisme longtemps honteux. En Europe, ce n’est guère mieux. Les anciennes métropoles coloniales ne laissent guère de place dans l’espace social ou politique aux immigrants africains, caribéens et à leurs enfants. Pire, ceux-ci risquent une marginalisation accrue à mesure que progresse le néofascisme d’extrême droite, pudiquement rebaptisé « populisme ».
La tentation phénotypique ou mélanodermique
Pourquoi tentante ? Parce que visible !
Être afrodescendant au 21è siècle est un défi permanent, un combat de tous les instants où nous devons sans cesse faire nos preuves, prouver que nous sommes aussi instruits, aussi compétents, aussi intelligents que les Caucasiens. Bref, aussi humains, quoi. C’est fatigant.
Et cela peut également être contre-productif, pour deux raisons. La première, c’est que le désir de réhabilitation peut être si fort, si intense qu’il peut parfois jouer (lui aussi) avec la vérité historique. Un écrivain-poète dont je tairai le nom n’a-t-il pas déclaré : « Nous, les Noirs, nous n’avons jamais colonisé personne, ni envahi aucun pays, ni imposé notre religion à quiconque ». Qui oserait affirmer cela en regardant aujourd'hui les conflits religieux et territoriaux depuis l’Afrique subsahélienne jusqu’à « la Corne » orientale africaine ?
La seconde raison est le danger de la reconnaissance exclusivement mélanodermique. Une personne née hors d’Afrique peut être reconnue comme afro-descendante si elle possède des ancêtres africains en nombre suffisant pour que cela ait une incidence soit sur son apparence soit sur sa culture. On pourrait donc envisager que l’ascendance puisse être peu décelable voire ne pas l’être du tout selon que le nombre d’ancêtres africains soit devenu insuffisant au fil des générations, soit selon que les caprices de la génétique s’en mêlent…
Alors que l’ascendance africaine subsaharienne même diluée ou mélangée peut néanmoins avoir un impact culturel non négligeable dans la construction de l’identité d’une personne.
Comment alors reconnaître un Afro-descendant ? Il serait ridicule et fallacieux de décider, pour simplifier, qu’il s’agirait d’une personne dont au moins un des grands parents a (ou avait) un phénotype évoquant l’Afrique subsaharienne... Tout aussi ridicule que de décider qu’une personne « ayant le rythme dans la peau » devrait avoir des ancêtres africains !
Pour résumer…
La notion d’afro-descendant est politiquement utile dans la mesure où elle permet d’éviter l’écueil de la « race » qui est un concept vicieux. Elle a également l’avantage d’évoquer immédiatement l’histoire coloniale et esclavagiste, avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour les anciens pays coloniaux et esclavagistes.
Je ne peux m’empêcher de penser à ce que me disait récemment un jeune frère d'une vingtaine d'années qui s’interrogeait, non pas sur ce qu’il était, mais sur qui il était. Il me parla de ce qu’on venait de lui dire de ses ancêtres marrons qui avaient combattu pour leur liberté et se déclara quelque peu déçu et mécontent de cette appellation d’Afro-descendant. « Je suis debout, me dit-il comme mes ancêtres qui se sont battus. Je ne veux pas descendre, mais je veux monter, c’est ça qu’ils m’ont transmis ».
C’est sans doute là l’important : si un Afro-descendant est ce qu'il est à cause d’un phénotype, il est qui il est du fait de son histoire. S’il a compris cela, il a compris qu’il n’était pas seulement un Afro-descendant, mais un Afro-héritier.
Okwadjani
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