MERCURE OU CYANURE ?
16/02/2014
Orpaillage illégal ou légal ?
En survolant la Grande forêt, de retour de Saül via Maripa-Soula dans un des petits coucous d'Air Guyane, cette communication du pilote : « Mesdames, Messieurs, sur la droite de l'appareil, vous pouvez apercevoir un site d'orpaillage clandestin ». On croit rêver ! Nous avons déjà survolé Dorlin et poursuivons notre vol vers le nord-est. Question du candide de service : « Mais, si nous le voyons, les FAG et autres Harpie en connaissent l'existence également, non ? » Ah, oui, j'oubliais... Le manque de moyens. Un seul hélico dédié, un second parfois prêté. Et les autres moyens ? humains par exemple ?...
Pour masquer l'échec patent d'Harpie (voir les chiffres en fin d'article), les médias et les entreprises communiquent sur deux points :
1. Haro sur les orpailleurs clandestins qui balancent des tonnes de mercure dans l'environnement chaque année ;
2. Les entreprises d'orpaillage « légal » proposent la récolte de l'or par cyanuration. Oui, oui, on va plutôt rejeter du cyanure dans l'environnement, le mercure, ce n'est pas propre.
L'orpaillage illégal et le mercure
Il existe des ruées vers l'or des temps modernes, en Guyane, en Afrique et au Brésil, mais souvent avec des dérives aux conséquences humaines et écologiques dramatiques.
En Guyane, par exemple, coexistent les exploitations légales, soumises au code minier, et les orpailleurs clandestins. Côté légal, une trentaine de PME et artisans. Côté clandestin, ils sont des milliers venus du Suriname ou du Brésil (on les appelle alors des garimpeiros). La question de l'orpaillage clandestin englobe le saccage de la forêt tropicale (même le Parc national du sud de la Guyane est impuissant à faire respecter la règlementation), l'utilisation du mercure sans aucun contrôle et la contamination induite des populations amérindiennes. Ajouté à cela, un climat de violence palpable depuis les années 1990 : immigration clandestine, proxénétisme et contrebande accompagnent ces activités d'orpaillage sauvage. Le butin moyen de l'orpaillage clandestin est estimé aux environs de 10 tonnes d'or, soit entre 120 et 220 millions de dollars chaque année et 13 tonnes de mercure rejeté.
Depuis 2002, des opérations de gendarmerie (dites Anaconda) visent à démanteler les sites d'orpaillage clandestins. Ces opérations ralentissent la progression des orpailleurs, mais ne les éliminent pas. Le risque plane également de décaler le problème vers le Suriname voisin. En 2008, c'est l'opération « Harpie » qui est lancée. Le début est prometteur mais sans réel lendemain. Les clandestins s'adaptent et, hélas, en juillet dernier, l'activité clandestine atteint un pic historique avec 114 chantiers.
Et le cyanure, dans tout ça ? C'est pour l'orpaillage légal !
Outre le fait de détruire des paysages à coups de pelleteuses, les procédés d'extraction de l'or à l'échelle industrielle font appel à de la chimie lourde. Pour exploiter l'or à grande échelle, il faut bien plus qu'une paire de bottes en caoutchouc et une battée. Pour le poids d'une bague en or, ce sont 20 tonnes de cyanure et de déchets en minerais divers qui sont générés. Il faut creuser, entailler la croûte terrestre pour, en moyenne, moins de 10 grammes d'or par tonne de roche extraite. Comme avec le mercure, l'élimination des boues est également un problème majeur de l?exploitation aurifère, tant et si bien que découvrir de l'or dans une région finit par ressembler à une malédiction.
Le cyanure, c'est un point noir dans un tableau déjà très sombre. Pourquoi en a-t-on particulièrement besoin ? L'or est un des éléments les plus stables parmi tous les éléments chimiques naturels. Il est très résistant aux altérations. Il n'est attaqué ni par l'acide chlorhydrique (HCl), ni par l'acide nitrique (HNO3) ni par l'acide sulfurique (H2SO4). C'est pour cela qu'il est recherché en bijouterie mais aussi pour l'électronique et le matériel médical. Le revers de la médaille, c'est qu'il est très difficile à extraire. En 1783, un chimiste suédois découvre que l'or peut être dissout par le cyanure. Les solutions de cyanure de sodium (NaCN) sont utilisées pour dissocier l'or de l'ensemble de la roche dynamitée, c?est la cyanuration. Ainsi, l'or est solubilisé (sous forme d'ions Au(CN)2). La solution aurifère est récupérée puis l'or est précipité sous l'action de poussière de zinc. C?est un procédé très efficace et assurant un rendement optimum (d'après Jean-Pierre Gorgé, président d'Auplata, on peut récupérer ainsi 50 à 60% du minerai présent dans la roche dynamitée puis pelletée. NdTémoin).
Bien sûr, le cyanure est très délicat à manipuler. Il est dangereux pour la faune, la flore ; oiseaux et poissons peuvent avoir des réactions de toxicité aiguës même pour des concentrations faibles. L'exploitation de l'or rejette des sels de cyanure sous forme NaCn ou KCn dans les eaux usagées. Ces produits mis en solution sont potentiellement très dangereux pour l'homme.
En guise de petit rappel
Nombre de garimpeiros : entre 3 000 et 15 000, évaluation 2013 ;
Nombre de soldats affectés à Harpie : 400 ;
Nombre de gendarmes affectés à Harpie : 170 ;
Or extrait : 13 tonnes en 2013 ;
Or saisi par les autorités : 8 kg en 2012 ;
Coût Harpie : 10 millions d'euros en 2010, pas de chiffres communiqués depuis.
On nage en plein délire, non ? Que dit la Cour des comptes ?
« Mesdames, Messieurs,
sur la droite de l'appareil »...
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