POST-COLONISATION OU DÉCOLONISATION RATÉE ?
26/12/2021
Se poser une telle question dans un contexte où l’avenir de la France n’a jamais été aussi incertain, sur le plan de sa démocratie, de son modèle social et économique, mais aussi de ses repères culturels est un non-sens montrant la légèreté de la pensée de nos dirigeants, qu’ils soient locaux ou centralisés.
Ainsi que l’explique Keïta Stephenson[1], « l’expérience guyanaise s’inscrit dans la crise du modèle français ». Ce qui pourrait signifier, en extrapolant (mais pas tant que ça) que le 973 vit le drame du 93 et de tant d’autres banlieues ?
[1] Juriste de droit international et européen
Entre tension guyanaise et marasme métropolitain, quelles articulations ?
Dans la conjoncture post-coloniale que nous traversons, l’expérience guyanaise s’inscrit dans la crise du modèle français. Pour la Guyane, l’enjeu est de construire son projet de société, qui devra permettre à chaque habitant d’assumer le passé (ce que, en mawinatongo, on exprime par pe wi komoto), de savoir qui l’on est (sama na wi) afin de construire le présent et de déployer son futur (pe wi go).. Un futur où tout devient possible.
Pour l'État français, c’est la possibilité enfin de tirer les leçons des crimes coloniaux et des errements postcoloniaux, partant de bénéficier d’une expérience qui pourra inspirer non seulement l’ensemble de ses habitants, mais aussi le monde. La Guyane préfigure en effet toutes les catastrophes émergeant au cœur des ultra-périphéries des puissances développées désormais en déclin avec leurs foyers expulsés de la société, de l’économie, de l’environnement, de la santé… et privés d’environnement culturel. Imaginer et projeter un territoire d’avenir n’est maintenant plus une option.
À y regarder plus attentivement et en même temps d’un point de vue plus large, on découvre tous ces facteurs générant ce que le 973, à l’instar de tant d’autres banlieues, rencontre comme obstacles : des migrations massives et successives, de jeunes générations issues de l’immigration, face à un ascenseur social bloqué, un État (centralisé mais aussi ultrapériphérique) recroquevillé sur ses fantasmes, piégé par des mécaniques procédurières, une société dépassée par la mondialisation, car construite sur des schémas de production et d’approvisionnement développés par des lobbies pour leur seul usage et bénéfice. Tout cela faute d’y avoir été préparée et d’avoir pu déployer ce que permettait la diversité des ressources culturelles et patrimoniales de ses communautés.
Des coups de matraque et de l’encre
Les générations se battent et se débattent, cela ne varie guère. Mais les cocktails molotov sont devenus pour certains des claviers et de l’encre, de la matière grise et des fous rires, pour d’autres des capsules que l’on ingère avant de prendre l’avion.
Les armées actuelles ne sont plus des cohortes sanguinaires, les contestataires ne sont plus les « sauvageons » évoqués par Chevènement. Ce sont les fruits de créativités individuelles qui portent en étendard soit un désir de justice, soit de réparation. En aucun cas ils ne sont des coutelas ou des sabres s’attaquant aux libertés. Leurs seules armes sont forgées de l’alliage de créativités individuelles qui prennent sens dans le collectif des créativités individuelles pour rétablir de la justice.
De quel projet a besoin le Guyane ?
Un projet de développement économique ou un projet de société ?
La révolte des générations n’est pas une agitation incrédule. Elle se nourrit d’une inspiration aussi lumineuse que la gloire de nos ancêtres et aussi exigeante que l’espoir de nos enfants.
Les ressources sont là. Elles sont culturelles et naturelles. Si la Guyane possède encore le matériau pour faire émerger son modèle de société, elle court aussi le risque de se dissoudre dans une mondialisation entièrement marchandisée. En d’autres termes, le risque de disparaître parmi les unités ectoplasmiques d’une économie virtuelle dont les dégâts sociaux et environnementaux, irréversibles, ne pourront être compensés par de l’argent.
La diversité culturelle de la Guyane comme sa biodiversité sont l’outillage qu’elle détient en termes de richesses naturelles propres à répondre aux enjeux économiques mondiaux. Adapter un tel outillage unique au monde à ces enjeux serait au contraire une erreur stratégique aux conséquences sans doute irréversibles. Elle devra s’adapter dans un contexte où les unions monétaires, les puissances continentales ou les collectivités publiques sont compressées par le poids d’une finance transnationale prédatrice. Elle devra oser malgré les crispations identitaires et la schizophrénie institutionnelle.
Ses principaux atouts, rappelons-les ici, sont sa diversité biologique unique au monde, et une démographie dynamique avec une majorité de jeunes… et de jeunes parents. C’est bien sa jeunesse qui est son principal atout, d’autant que sa terre est l’un des derniers endroits de la planète où il reste encore tout à faire plutôt qu’à réparer ou dépolluer. C’est bien en conjuguant jeunesse et territoire que nous déblaierons le layon de notre futur collectif.
Okwadjani
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