LES MULES DANS UN ENVIRONNEMENT FAVORABLE ? - La chronique d'Olson
24/08/2021
Dans la précédente chronique intitulée « Regardez les mules »… nous avons regardé.
Nous avons vu que, si les caractéristiques des mules restent en grande partie méconnues, les causes de l’implication des individus dans le trafic de cocaïne, en tant que mules, sont sujettes à de nombreuses représentations concurrentes.
C’est une lecture individuelle et psychologique de l’entrée dans le phénomène des mules qui semble être privilégiée par les acteurs des instances publiques, au détriment d’une lecture sociale de ce phénomène, davantage portée par les lycéennes et lycéens de Saint-Laurent du Maroni et par des acteurs de terrain travaillant dans l’Ouest guyanais.
Cette mise sous silence relative du contexte social où s’ancre le phénomène des mules nous interroge. Quelle est donc l’influence de ce choix sur la façon dont est pensée – et construite – la lutte contre le phénomène des mules ? Il s’agit donc d’apprécier dans quelle mesure le fait de ne pas considérer le contexte social – marqué par une grande pauvreté, un fort taux d’inactivité, des conditions sanitaires particulièrement précaires – nuit à l’élucidation des causes d’émergence et d’amplification du fait et in fine empêche de lutter contre celui-ci. De fait, l’option d’individualisation des causes du passage à l’acte, au lieu d’une lecture sociale de celui-ci, affecte-t-elle la mise en œuvre et l’efficacité de la lutte contre le phénomène des mules ?
La dimension sociale du phénomène des mules, occultée par les acteurs institutionnels (les décideurs) rend les acteurs de terrain peu audibles.
De plus, la lecture du phénomène au prisme individuel plutôt que collectif tend à sous-estimer l’aspect social du problème. On peut affirmer que plus le pouvoir de décision est lointain, plus la compréhension du phénomène en est floue et se traduit par des mesures peu ambitieuses voire incohérentes face à l’ampleur du phénomène.
L’individualisation des causes de l’implication dans le trafic de cocaïne, en tant que mule, confère aux tempéraments, aux traits de caractère et aux histoires personnelles une place centrale dans l’explication du phénomène. Les causes sociales – la pauvreté, l’absence de perspectives scolaire et professionnelle, les conditions de vie, les logements insalubres – sont vus comme secondaires et justifient l’appréhension du phénomène des mules aux prismes des secteurs d’action sanitaire, judiciaire et répressif.
Cet antagonisme dans la conception problématique du phénomène entre acteurs institutionnels ou politiques et acteurs de terrain se traduit par des difficultés à travailler ensemble. On assiste davantage à une juxtaposition de discours et d’actions qu’à la construction d’actions communes.
La volonté politique timide de lutter contre le phénomène
La faible visibilité du phénomène des mules pour les instances politiques nationales peut se comprendre à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, elle résulte de la faible prise en compte des spécificités territoriales dans l’initiative de politiques publiques. Lorsqu’un problème ne touche qu’une partie du territoire, il est plus facilement occultable par les acteurs de l’État centralisé.
Ensuite, la mise en invisibilité du contexte social participe d’une relative sous-estimation du problème. Cela conduit, mais nous l’avons déjà indiqué, à le présenter comme relevant de problématiques individuelles liées aux tempéraments de certains individus et à leur vénalité personnelle plutôt qu’au contexte de grande précarité et de pauvreté auquel est confrontée une partie de la population guyanaise.
Tout cela occasionne une faible visibilité du problème par les acteurs des instances centrales qui se traduit ainsi par l’absence d’impulsion à l’échelle nationale mais surtout par l’absence de mandat politique national cadré attribué à l’échelon local.
Difficulté ou empêchement d’agir
Quels que soient les dispositif, un obstacle majeur s’oppose à leur pérennisation : le turn-over des acteurs exogènes. Administratifs ou fonctionnaires, les trop courtes durées de leur engagement nuit à la pérennisation des actions mais également à la mémoire de celles-ci : absence de bilan par les acteurs au moment de leur départ mais aussi absence de transmission à l’arrivée des suivants. Il n’est pas rare de rencontrer dans une de ces innombrables et infécondes réunion un(e) directeur(trice) de quelque service mal identifié qui n’était pas là l’année d’avant… et qui ne sera plus là l’an prochain.
L’autre obstacle majeur aux rencontres de régulation entre acteurs tient aux distances entre les différentes villes de Guyane et à l’absence de transports en commun pour les relier. Aussi, les échanges physiques entre acteurs sont rendus difficiles, et l’on ne peut pas trop compter sur un réseau internet sous-dimensionné et capricieux pour substituer des vidéo-conférences aux réunions en présentiel.
Il faut rappeler ici que Saint-Laurent du Maroni est situé à plus de 3 heures de route de Cayenne et que Maripasoula n’est accessible que par voie fluviale ou par avion depuis Cayenne et Saint-Laurent du Maroni.
Des causes liées à des politiques locales
Certaines collectivités pourraient-elles ne pas agir activement contre le phénomène des mules par volonté de préserver la « paix sociale » ? La position pour le moins attentiste de certains élus doit nous interroger. Dès lors qu’il s’agit de lutter contre une activité qui rapporte de l’argent à une part importante de leurs administrés. Car le trafic de cocaïne rapporte… pas seulement aux mules. Un déséquilibre certain serait engendré, à court terme, par un arrêt de celui-ci.
La paix sociale serait-elle, au moins en partie, payée par ça ? Il ne faut pas se leurrer. Sur un trajet, il y a beaucoup d’argent qui retombe localement, ce qui produit des effets économiques informels non négligeables. Il est indéniable que des familles s’organisent pour faire rentrer de l’argent. Ça fait partie des ressources informelles dont on préfère voir bénéficier certaines populations plutôt que de voir les cambriolages ou les agressions se multiplier.
Le constat est implacable : le phénomène des mules, sous-estimé car perçu comme lointain et appréhendé à l’aune d’un fait individuel plutôt que social, se traduit par une faible volonté politique nationale de lutter contre ce problème et par une faible impulsion politique locale liée pour partie à la mobilité restreinte et au turn-over des acteurs institutionnels mais aussi à l’absence de volonté politique claire de certains élus qui préfèreraient ainsi préserver une forme de paix sociale plutôt que de lutter contre ce processus.
à suivre - OKwadjani
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