REGARDEZ LES MULES ! - La chronique d'Olson
21/08/2021
Cette chronique fait suite à celle que je publiai en janvier dernier intitulée un axe Cayenne-Paris. Celle-ci avait besoin d'être actualisée et développée. D'autres suivront.
Le phénomène des mules inquiète par sa banalisation sur le territoire guyanais. Les pouvoirs publics peinent à proposer une réponse efficace pour l’enrayer quand les estimations les plus pertinentes nous apprennent que dix à quinze mules s’envolent dans chaque avion de Cayenne pour Paris le ventre empli de capsules de cocaïne. À deux avions par jour ce sont entre vingt-cinq et trente jeunes hommes et jeunes femmes, parfois à peine sortis de l’adolescence, mais parfois aussi des personnes d’« âge respectable »… même si le plus grand nombre se compte parmi les jeunes gens entre dix-huit et vingt-cinq ans, qui débarquent à Orly pour restituer en un lieu proche le contenu de leurs intestins.
Alors… s'agirait-il d'une mauvaise perception du phénomène ou d'un travail d’identification des vraies causes mal conduit (malmené) ?
Une étude, rendue par l’Agence Phare en mars 2019 se montre très lucide quant au dévoiement des moyens et à la légèreté (appelons un chat un chat) des investigations des pouvoirs publics.
Regardons, à titre d’exemple, la manière dont est traitée la nécessité de répondre à un problème encore mal identifié par les acteurs de terrain. Si le diagnostic réalisé au préalable a mis en évidence le besoin urgent de mettre la question des mules à l’ordre du jour, la réponse apportée ne relève ni d’un travail d’étude poussé, ni d’une stratégie de prévention conçue à long terme, mais de la proposition formulée par une association qui n’est pas spécialiste de la prévention dans l’entrée dans les trafics de drogue.
Dans cette configuration, les pouvoirs publics se contentent de stimuler l’émergence de proposition d’actions par les acteurs de terrain, montrant par là leur incapacité à se positionner en tant qu’acteurs soutenant une politique de prévention ambitieuse.
Il suffit pour s’en apercevoir de noter notamment l’absence flagrante de coordination ou d’articulation entre les différentes actions financées. À titre d’exemple, une association, en même temps qu’elle est financée – dans le cadre d’APDOM5 – pour construire un outil de prévention, l’est également par la préfecture (financement MILDECA) pour une action d’information sur le phénomène des mules. Néanmoins, ces deux actions ne sont pas pensées par les pouvoirs publics pour leur complémentarité mais relèvent d’une volonté d’agir « vite » et de façon « visible » sur cette question. Ne surtout pas laisser apparaître son incapacité à résoudre la situation, en fournissant des réponses simples à des questions compliquées...
Des représentations concurrentes : un phénomène individuel pour les uns, collectif pour les autres
Les régimes de justification de l’inscription massive des individus dans le trafic de cocaïne, en tant que mule, sont diversifiés et portés par des acteurs différents. Selon la position des acteurs dans l’espace social et leur proximité avec les instances administratives et politiques, leurs représentations ne disposent pas du même niveau de légitimité, notamment auprès des décideurs d’actions de lutte contre le phénomène des mules. Deux constats sont évidents :
1. Les représentations portées par les acteurs institutionnels, en particulier ceux qui travaillent dans les institutions et administrations publiques basées à Cayenne bénéficient du plus fort indice de légitimité et dominent l’espace de décisions des acteurs publics qui tendent à relever de logiques individuelles et psychologiques. Selon ces représentations, le phénomène des mules ne constituerait pas un « fait social » mais individuel, pensé à l’aune du tempérament, du caractère ou encore de l’histoire privée des individus. On peut dire qu’il s’agit là d’une sorte de négation du contexte social et économique de la Guyane en général, de l’Ouest guyanais en particulier.
2. En revanche, les représentations portées par les jeunes enquêtés et par les acteurs de terrain (du champ social et éducatif notamment) à Saint- Laurent du Maroni tendent à regarder le phénomène des mules comme un « fait social » en raison de son caractère collectif (dont témoignent l’ampleur des chiffres et la banalisation du phénomène), de sa relative stabilité dans la mesure où les chiffres, d’une année sur l’autre peuvent être prévisibles, de son caractère extérieur et contraignant pour les individus. Si l’on s’autorise à penser le phénomène des mules comme un fait social, il devient cohérent de travailler sur les constantes comme sur les variables sociales qui influent sur le système même du trafic de cocaïne. Cette perspective reste néanmoins éloignée de celle adoptée par les pouvoirs publics jusqu’à présent.
On peut dès lors affirmer que les représentations dominantes qui vont ensuite définir et structurer les politiques et actions de lutte contre ce phénomène, en effaçant la question sociale, empêcheront à coup sûr d’identifier les causes de l'implication massive des populations touchées par ce phénomène.
à suivre - OKwadjani
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