Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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LANGUES EN GUYANE (2)

07/12/12

Aujourd'hui, la conjoncture est prometteuse pour plusieurs raisons...

 
 

Dun côté on constate, il est vrai, la remontée d'un discours officiel assimilationiste, induit probablement par la présence, en France européenne, d'mportantes communautés d'immigrants qui demeurent sur les marges de la société, entre un retour impossible et une intégration extrêmement difficile aux plans social et économique. Mais en même temps la diversité de tout ce qui est humain acquiert droit de cité. On lit ainsi, dans le rapport que le Conseil d'Etat a consacré en 1996 à l'étude des principes d'égalité et d'équité, que « l'égalité de droit peut aller de pair avec l?inégalité de fait », et que le principe d'égalité « n'atteint réellement son but que s'il est aussi le vecteur de l'égalité des chances[1] ». Et, sous la plume du Ministre de l'éducation : « l'égalité, ce n'est pas l'égalitarisme » ; « Qu'est-ce donc que l'égalité à l'école ? C?est la diversité[2] » ; ou encore : « il faut [...] ouvrir l'école à la diversité des régions et des cultures [...] Il faut que l'école de la République accepte la diversité[3] ». 12-10-13-006-copie.jpgLe Président de la République a déclaré, à la Rencontre internationale des communautés amérindiennes de juin 1996 à Paris : « Notre devoir de mémoire à l'égard des premières nations n'est ni passéiste, ni pessimiste, ni inactif. Il tend à la construction d'un ensemble culturel harmonieux. Dans cette démarche, le multilinguisme tient une place éminente ». Par ailleurs, la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires de 1992 - et sa préalable signature - est à l'ordre du jour, après les récentes remises au Premier ministre du rapport Poignant défendant le patrimoine linguistique, et du rapport Carcassonne garantissant la constitutionnalité de la ratification, ainsi que celle, au ministre de l'éducation et au ministre de la culture, du rapport Cerquiglini portant inventaire des langues. Dans le processus qui s'amorce, la Délégation générale à la langue française devrait prochainement devenir Délégation des langues de France. Enfin, le contexte international va résolument dans le même sens, avec des initiatives comme celle du projet de Déclaration universelle des droits linguistiques (Pen Club-Ciemen) ou celle du projet Linguapax de l'Unesco.

Il n'en reste pas moins fort à faire en ce qui concerne la Guyane. Si les créoles (de base française) apparaissent dans le rapport Poignant, nulle mention encore des langues amérindiennes (et businenge). La Fédération des organisations amérindiennes de Guyane s'en est émue et a envoyé au Premier ministre une lettre où elle se demande si les langues des premiers habitants vont devoir être considérées comme des langues étrangères. La même Fédération avait, en 1996, remis au Ministre de l?éducation de l'époque en visite, une déclaration sur les points que l'enseignement en milieu amérindien doit incorporer afin de s'adapter aux aspirations des populations. Le contenu n'est autre que ce que, presque partout ailleurs sur le continent, on connaît comme éducation bilingue interculturelle. Le rapport Cerquiglini, plus récent et fait par des scientifiques[4], tient compte des langues amérindiennes et businenge de Guyane.

jpgcouverturelepetitpri.jpgA côté des revendications pour la reconnaissance officielle, et en attendant cette dernière, des actions se déroulent sur le terrain. Au début des années quatre-vingts voit le jour le projet Education adaptée aux populations sylvicoles de Guyane, soutenu par le Ministère des Départements et Territoires d?Outre-mer[5], lequel n'aura pas de continuité. En 1995 démarre, au Centre universitaire de Cayenne, un cursus de niveau maîtrise intitulé Diplôme universitaire de langues et cultures régionales, où s'inscrivent six Kali?na. Deux ans plus tard, l'Orstom-Ird, associé au Cnrs, ouvre son programme Langues de Guyane : recherche, éducation, formation et crée sur son centre guyanais un Laboratoire de sciences sociales.

Le programme Langues de Guyane a entrepris de constituer un fonds de connaissances nouvelles et rigoureuses sur les langues moins bien connues du pays. Il concerne, au premier chef, les langues amérindiennes et businenge. Pour mener à bien son projet, le programme compte sur une équipe de linguistes, certains permanents en Guyane, d'autres s'y rendant en mission, qui enquêtent sur le terrain, analysent les données et, par le biais de leurs publications, mettent les résultats à portée des spécialistes mais aussi d'un public plus large.

De façon complémentaire, le programme entend restituer aux populations dont les langues sont étudiées la part applicable des produits de la recherche. A ce titre il s'engage aux côtés de l'Education nationale dans des actions visant à une meilleure adéquation de l'enseignement au fait incontestable de la mosaïque linguistique guyanaise. C'est ainsi qu'au sein de l'Institut universitaire de formation des maîtres se tiennent, annuellement, les Journées sur l'enseignement en contexte interculturel, pendant lesquelles les étudiants sortants, futurs professeurs du primaire, se familiarisent avec les langues et les cultures auxquelles la prise de leur premier poste peut les confronter. Le but est de réduire le niveau d'anxiété que cette perspective engendre chez beaucoup, en leur donnant, tant que faire se peut, des cadres et des outils aptes à introduire un principe d'intelligibilité dans ces mondes nouveaux.

Parallèlement se déroule l'expérience Médiateurs bilingues. Partant du constat d'un échec scolaire généralisé chez les populations non francophones, l'initiative prend le contrepied de l'opinion la plus répandue - il faut que ces populations changent - et, avançant l'idée que c?est plutôt à l'école de changer, prône l'introduction de la langue propre à l'école, sous les formes orale et écrite. Le premier blocage qui survient repose sur la conjugaison de deux faits :

1.   personne ne peut, en principe, se voir confier une classe pour y développer une activité pédagogique sans avoir suivi les filières de formation officielles et réussi aux concours qui les sanctionnent ;

2.   le nombre d'Amérindiens et Businenge satisfaisant à la condition (1.) - et disponibles pour l'enseignement - est insignifiant. Un plan gouvernemental [la loi Emplois jeunes de 1997] permet de rompre ce cercle. En 1998 l'Éducation nationale recrute dans ce cadre juridique un certain nombre d'aides-éducateurs pour accomplir, au sein de la communauté scolaire, des activités correspondant « à des besoins émergents ou non satisfaits » et présentant « un caractère d'utilité sociale, notamment dans les domaines des activités [...] culturelles, éducatives[6] [...] ».

L'expérience Médiateurs bilingues donne un début de formation à des personnes non diplômées, locutrices des langues amérindiennes et businenge, qui rende possible l'accueil du petit écolier dans sa langue au moment où démarre sa vie scolaire. A terme, et sachant que les emplois jeunes ont une durée de cinq ans, le programme devrait susciter des vocations se traduisant dans un premier temps par la reprise des études, et dans un second temps par l'admission dans un institut de formation des maîtres. Les médiateurs bilingues d'aujourd'hui sont le germe de ce que seront un jour les professeurs bilingues de Guyane française.

Alors, prometteuse, la conjoncture ? Pas si sûr. Au moment ou Monsieur Queixalós écrivait ces lignes (vers le milieu des années 2000), peut-être. Mais jusqu'à ces derniers mois la politique menée a fait craindre la disparition du dispositif des « médiateurs culturels » ou, ce qui est peut-être pire, une « assimilation » de ce dispositif. Une langue régionale a droit de cité en Guyane, langue qui seule voit les enseignants dotés d'agréments pour l'utiliser et l'enseigner. Allons-nous « créoliser » les petits amérindiens ou les petits businenge ?
 
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Au moment ou votre serviteur préféré, le Témoin en Guyane, écrit ces lignes, un nouveau cadrage est donné à ceux qui n'étaient plus des médiateurs culturels, mais de simples intervenants en langue maternelle (ILM). Il faut cependant se réjouir du changement de cap dans leurs missions. Trois axes leur sont fixés :
1. Favoriser la structuration des enfants dans leur langue maternelle [...] ;
2. Etre le représentant, dans l'école, de la culture des enfants ;
3. Etre l'intermédiaire entre les familles et l'école.
L'on ne peut que se réjouir du retour des deux notions de "médiation" et de "culture", bien au-delà des simples interventions en langue induites par l'appellation ILM introduite en 2007 (hasard des dates ?). Mais on pourra regretter également que le nombre de ces emplois soit de 40 pour toute la Guyane, ce qui oblige à ne favoriser que les plus répandues parmi une quinzaine de langues autochtones.
 
RÉFÉRENCES
BAHUCHET, S. (resp.) (1994) Situation des populations indigènes des forêts denses et humides, Bruxelles, Commission européenne
GÉRAUD, M.-O. (1997) Regards sur les Hmong de Guyane française, Paris, L'Harmattan
MAM-LAM-FOUCK, S. (1996) Histoire générale de la Guyane française, Cayenne, Ibis Rouge Editions
ZONZON, J. & G. PROST (1997) Géographie de la Guyane, Servedit
 

[1] Bulletin officiel de l'éducation nationale du 20 avril.
[2] Le Monde 19-20 octobre 1997, p. 6, sous le titre : « Le juge administratif de Paris autorise les mairies à préférer l'équité à l'égalité ».
[3] Le Monde 6 février 1998, p. 14, sous le titre : « Ce que je veux ».
[4] Avec une tendance un peu inflationnaire : soixante-quinze langues figurent en liste, certaines un peu artificiellement distinguées.
[5] Cf. Grenand, dans ce même volume.
[6] Journal officiel, 17 octobre 1997.


07/12/2012
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