MAMA KWATA REVIENT... la chronique d'Olson (9)
12/01/2020
Cet article prend sa place dans une suite de chroniques qui paraissent régulièrement sous la plume d'Olson Kwadjani, un jeune conteur-poète que j'ai invité à venir s'exprimer sur le site « Un Témoin en Guyane ».
Olson est un jeune Businenge possédant de la famille des deux côtés du Maroni. Il se déplace au gré de son courant de vie d'une rive à l'autre du fleuve et, par conséquent, il a toute légitimité pour se définir comme libasama, habitant du fleuve, transfrontalier.
Son regard affûté de jeune de moins de trente ans lui permet de poser un avis parfois dérangeant mais toujours pertinent sur l'actualité guyanaise et française. Gageons qu'il nous offrira une fois ou l'autre une réflexion sur l'actualité Surinamaise lorsqu'elle viendra interagir sur la vie du bassin du Maroni-Mawina.
MAMA KWATA REVIENT...
par Olson Kwadjani
Il lui aura fallu du temps pour se décider... Après de nombreuses sollicitations, mon chroniqueur invité Olson a fini par se jeter à l'eau : il s'est lancé dans l'écriture d'un roman.
Depuis quelque temps, je lui réclamais une chronique pour le site du Témoin en Guyane. Il a fini par me donner en avant-goût de son roman, un des derniers chapitres écrits. Il vous le livre donc ici.
Le thème, il a accepté que nous l'évoquions ici, c'est la résistance en marronnage de jeunes issus de peuples traditionnels au saccage de leur pays par des compagnies multinationales, étrangères, qui plus est.
Pour rappel, Mama Kwata est le personnage mis en scène dans la nouvelle incluse dans le recueil édité aux Éditions Rimanay « Méga-mine d'or, non ! » Vous pourrez vous y référer pour faire plus ample connais-sance avec ce drôle de personnage.
Cadeau en guise de première mise en bouche : un chapitre du futur roman d'Olson...
Un léger bruissement, suivi d’un coup sourd vient surprendre Djesie en plein sommeil. Il ouvre les yeux puis, se redressant dans son hamac tente de percer l’obscurité ambiante. Devant les quelques braises du feu encore rougeoyant, une forme se tient, tournant le dos au foyer et le fixant tranquillement.
« Tu me reconnais ? marmonna l’animal, d’une voix à la fois douce et flûtée…
- Mama Kwata ? C’est bien toi ? mais qu’est-ce que tu fiches ici ?
- Tu n’es pas comme la plupart de tes congénères, tu es un Marron, pas vrai ? Je l’ai bien senti l’autre soir, à la Charbo, lorsque tu as pris la parole. Ton discours n’était pas préparé, il n’était pas non plus construit pour plaire. Si marronner, c’est comprendre, résister c’est chercher à comprendre. Donc, ton enjeu, jeune Nègre, est et devrait rester en toute occasion la recherche lucide d'une compréhension des opportunités qui s’offrent, même au jour le jour ; car tout ce qui nous arrive, à toi comme à moi, est à la fois danger et opportunité.
- Mais comment sais-tu tout cela ? Et pourquoi m’en parler, à moi ?
- Tu sais, certains d’entre nous, que vous nommez animaux, ont gardé des anciens temps la faculté de parler et de comprendre les langages humains. Seuls les plus sauvages et les plus méfiants d’entre nous ont gardé cette aptitude, les autres ont été condamnés à la domestication mutique. Alors, doués de parole et de compréhension, nous aussi avons nos propres mato[1]. En voici un, que je vais te raconter ».
Djesie, complètement éveillé pour le coup, se demande dans quelle strate du monde il se trouve enchâssé. Couché dans son hamac, au bord de « sa » crique, voilà qu’il se trouve éveillé en pleine nuit par un singe, une maman-singe qui parle et réfléchit… Un sourire d’incrédulité est près de s’installer sur son visage lorsque Mama Kwata commence :
« Dilintin !
- Daytin ![2] répond le garçon, par réflexe…
- Un jour, un singe s’empara des vêtements d’un homme, s’en affubla et partit en riant… Mais le singe se laissa prendre au piège : il s’habitua si bien aux vêtements qu’il finit par croire qu’il les avait toujours portés ; il se moqua des singes qui n’en portaient point et finit par renier son père qui refusait toujours de s’en revêtir. Puis le singe fréquenta l’école des Hommes, tant il voulait être semblable aux Hommes ; en fait, il souhaitait être assimilé. Et l’homme lui dit : tu es semblable aux hommes, tu es assimilé.
Les petits du singe se mirent alors à réfléchir à la notion d’assimilation pour s’apercevoir que c’était là un dangereux engrenage, pour le colonisateur comme pour le colonisé.
L’homme qui avait assimilé le singe se dégoûta vite de son œuvre : la copie n’étant qu’une copie, il eut pour elle le même mépris que pour une larve. Il en fut de même pour l le dominant quand le serviteur a cessé d’être le dominé. L’assimilation porte en elle des germes de lutte, car la lutte du même contre le même est la pire des luttes. Bolon ![2] »
Mama Kwata, son discours achevé, scrute le haut des arbres dont la cime va se perdre dans l’obscurité de cette nuit sans étoiles. Peut-être est-elle à la recherche de l’un de ses enfants… Djesie, pour sa part, reste immobile, les yeux perdus dans le vague au-delà du foyer. Son cerveau fonctionne à plein rendement, comme un moteur dont il chercherait à deviner le rôle de chaque pièce mécanique, mais dont le fonctionnement lui serait totalement inconnu. Une foule de questions se presse à son entendement sans qu’il sache vraiment ce qu’il cherche à savoir.
« Je vois que tu réfléchis, mais que trop de layons s’offrent à ton interrogation. Laisse-moi t’aider un peu… »
Et Mama Kwata parle à Djesie, elle lui explique pourquoi le fort a besoin d’un plus faible : sans différence entre les deux, où serait le privilège ? Il apparaît donc que le maître a besoin du serviteur qui justifie son existence et en témoigne.
Partant de ce constat, le jeune homme comprend que lui-même, le colonisé, n’a plus ni choix ni alternative. S’il veut s’élever, il ne peut que s’assimiler pour devenir semblable à l’autre, le colon, et donc enfiler ses habits. Il s’agit donc en quelque sorte d’une usurpation qui a pour objectif de faire changer le colonisé de condition en le faisant changer de costume, à défaut de peau. Un modèle s’impose rapidement à lui puisqu’il est tout proche : le Blanc. Il jouit de tous les biens, croit-il, mais surtout du pouvoir. Richesses et honneurs souvent, autorité toujours.
Mais le colon traîne avec lui une lourde incapacité : il ne voit et ne rapporte toujours que ce qu’il sait déjà. C’est là sa conviction, c’est aussi là sa faiblesse. Il est englué par tant de certitude qu’il ne possède plus la mobilité intellectuelle suffisante pour identifier ce qui pourrait bien le menacer. Djesie réalise tout à coup que c’est bien dans cette stratégie qu’il s’est installé vis-à-vis de « son » Blanc à lui : transformer sa force en faiblesse en lui dissimulant les raisons qu’il aurait de se méfier. Car il a bien retenu cette phrase, entendue il ne sait plus où, mais qui l’a marqué profondément : « cette grenade dans la main du jeune Nègre, est-elle une arme ou un fruit ?[3] »
Une pensée en entraînant une autre, il réalise que sur les deux rives aux nationalités imprécises du Maroni existent des bases « terroristes » de jeunes désabusés formés au lancer de grenade. Déjà, ceux-ci peuvent constituer une menace dissuasive : et si le lancer atteignait son objectif, comme par exemple n’importe quel conducteur d’engins innocent, salarié de cette fameuse compagnie minière ? Ces lanceurs expérimentés et menaçants ne peuvent-ils pas, à tout instant, modifier à leur guise la portée de l’information sur les choix de vie, voire ici de survie de son peuple et celui de Yana ? Car la menace est surtout inquiétante après le premier passage à l’acte : et s’il y avait répétition ?
Djesie voit désormais son chemin tracé. Devant le foyer presque éteint, Mama Kwata n’est plus là.
Olson Kwadjani
[1] Mato : conte présentant un contenu destiné à être transmis d’une génération à l’autre. On ne peut, sans risquer la colère des esprits, le divulguer tant que la nuit n’est pas tombée. À la différence du « mato », un « toli » est une simple histoire…
[2] Formules rituelles pour débuter, ponctuer ou terminer un conte, correspondant à peu près aux yé krik ! yé krak ! des contes créoles.
[3] Titre d’un roman de Dany Laferrière, écrivain haïtien, d'abord paru en 1993, puis réécrit par l'auteur en 2002.
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