TRANSE ET POSSESSION
07/03/2023
De nos jours, de nombreux auteurs-chercheurs s'interrogent désormais sur le bien-fondé d'un recours à la psychopathologie pour expliquer la possession chez les vaudouisants, alors que désormais celle-ci semble davantage s'accommoder d'une analyse ethnologique ou sociolo-gique. Quoiqu’il en soit, cette pratique a toujours été vue, aux XVIIe et XVIIIe siècles comme étant sorcière et barbare par les colons et les missionnaires. Le XIXe siècle ensuite a apporté son lot de changements de points de vue sur ce qui n’était perçu jusque-là qu’au prisme de la religion catholique défendant le commerce et le système de production esclavagiste.
C’est dans les années 1930 que le caractère pathologique des « crises » de transe commença à être contesté vigoureusement. Même si l’on concède parfois l’existence d’une compensation pour des besoins frustrés et que son occurrence peut être expliquée en termes d'instabilité nerveuse ou de susceptibilité à la suggestion, l’on rejette l'hypothèse d’une manifestation hystérique désordonnée, associée ou non à un excès alcoolique ou sexuel. La possession serait au contraire un phénomène culturel socialement normal, une part d'expérience mystique vue comme névrotique seulement à la lecture par une culture exogène. Le caractère contrôlé et réglé de ce phénomène répandu à travers le pays, le constat que la possession apparaît selon des règles bien définies et dans des circonstances spécifiques, sont autant de preuves en faveur de la normalité de la transe, autrement dit de la possession par un Lwa.
Certaines représentations ont la vie dure, comme cette idée d’une psychopathologie de la communication avec les dieux ou les esprits de l’au-delà (nommons-les génériquement entités).
Nous émettrons une hypothèse contraire : l’intelligence préexiste et se trouve au cœur de la négociation avec les Lwa. Le vaudouiste est ainsi mené par une praxis psycho-spirituelle comme celles qui favorisent l'auto-délivrance, l'indivi-duation positive, tout comme le Businenge dans sa fréquentation du Winti. Si les entités présentent parfois des travers propres aux Humains (désir charnel parfois adultérin, envie, jalousie, etc.), elles sont le plus souvent bienveillantes envers eux et leur accordent l'espérance de leur devenir, dans la connaissance de « l'après-soi », c'est à dire du grand retour, de la réincarnation, partielle ou plurielle d'ailleurs, ce qui augmente la portée universelle d'une croyance pleine d'espérance.
Le vaudouisant voit la vie comme un éternel recommencement, comme un cycle : aujourd’hui quelqu’un t’a aidé, demain tu aideras quelqu’un parce que c’est le cycle qui veut ça. Aujourd’hui, une personne t’a fait du mal mais demain ce sera son tour d’être molesté. Cela n’a rien de bien ou de mal, c’est tout simplement le cycle de la vie.
Pour ce qui est de la vie après la mort c’est pareil. Dans le vaudou on considère que la vie est cyclique que les réincarnations se font de cette façon, par rapport aux actes qu’on a pu commettre dans l’incarnation précédente, la réincarnation étant la dimension la plus évidente de la possession permanente, en quelque sorte.
La base des croyances marronnes dans ce domaine est, de la même façon, une porte ouverte sur l'éternité. Un préalable psychique fondamental s'impose donc. Avec cette affirmation consubstantielle à la praxis de vie : « non, les morts ne sont pas morts ! ». Car ceux-ci ne font que nous précéder. Là où nous sommes, ils étaient. Là où ils sont, nous allons. L'obia[1] est atemporel. Il est, il a été et il sera… à la fois un mode d’interprétation du monde et le mode d’emploi de ce monde.E
Entre les vivants et ceux que l'on dit morts, il s'agit d'établir et d'entretenir une indispensable connexion. C'est le fondement de cet animisme contemporain. Les morts, les Esprits des ancêtres et une multitude d'entités s'adressent à nous. Ils conseillent les vivants, leur parlent, les sollicitent, les incorporent parfois et les possèdent, aidant ainsi à la compréhension confiante de ce qui est et de ce qui sera. Les Marrons avaient naguère un devoir de révolte contre l'adversité absolue et la servitude, comme une éthique spirituelle, une praxis atemporelle de la délivrance.
Les vivants sont ainsi engagés dans un cycle qui pourrait être sans fin. Car voici la majeure croyance Marronne : l'esprit va et vient et au besoin revient. Il se réincorpore. Mais pour cela, - et c'est sur le plateau des Guyanes ce qui distingue entre autres l'héritage des descendants des sociétés issues du Marronnage, qui pratiquent l'interrogatoire des morts - le passage par un tribunal métaphysique est obligatoire. Un tribunal des vivants face à la mort. Un interrogatoire proprement socio-cosmique du défunt où l'importance est de savoir si la conscience du seul vrai combat à conduire dans la vie a été respectée. C'est-à-dire un comportement anti-sorcier. Un tribunal des vivants au moment des funérailles, qui autorise ou pas le passage à l'ancestralité. Et au retour. Au retour qui est choisi en fonction du meilleur de l'expérience vécue… c’est un don, une trace de soi : c’est le nenseki des Businenge.
Ainsi cette connaissance obiatique, transmissible, exprime-t-elle les réalités métaphysiques des multiples héritages de l'Afro-Amérique qui renforcent la foi et l'espérance en l'Humain. Du Vaudou, du Candomblé, de la Santeria, de la Macumba, de l'Ubanda, du Winti, du Kumanti et de mille autres cultes populaires qui tous résistent à l'uniformité et à la soumission au monothéisme. Car quels que soient les lieux, les parvis ou les temples, partout il s'agit d'engager l'émancipation de l'Humain. Car l'obia est le libérateur des carcans psycho-historiques, des dogmes et des prisons idéologiques revanchardes. Il autorise la vraie réparation et l'évolution essentielle de l'âme humaine par des rites de réconciliation. Il redonne du sens aux choses de la vie. Il permet de guérir des maux, des blessures psychiques et rétablir une vision saine de soi et des autres dans ce monde actuel polymorphe. Et c'est d'ailleurs là son efficacité incontestable : la praxis obiatique bien encadrée domestique les « sacrés sauvages » comme le décrivait d’ailleurs Roger Bastide dans « Rêve, transe et folie ».
[1] L'obia peut être perçu comme un système social en résistance perpétuelle contre l'oppression quelle qu'elle soit, dogme et/ou écritures, comme le Code Noir ou la Bible, entre autres. Une résistance créatrice et rendue à l'exercice, à l'expérimentation, au faire et au savoir-faire plus qu'au croire.C'est aussi un système de croyances et de pratiques lié à l'environnement, à la connaissance des pharmacopées locales par exemple. Un système lié à une vision d'un monde à désaliéner et à délivrer constamment de la peur, de la honte et du mal sous toutes ces formes. Il s'agit donc bien d'un patrimoine et donc bien d'un héritage.
Grâce à ces connexions élevées qui visitent et enseignent les adeptes en incarnant à leur tour toutes les réponses. Evidemment mal encadrées la transe et l'incorporation peuvent servir des obsessions diverses et ambitions propres à l'homme en tout temps. Cela est vrai également pour le vaudou africain, pas très différent de l’obia en ce sens. Les deux pensées, vaudouiste et obiatique, permettent de se défaire des déviances et manipulations qui peuvent être légion. Légion comme l'adversité sans visage qui est de toutes les époques et de tous les imaginaires. C'est pourquoi il convient de marronner sans cesse.
Okwadjani
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