Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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UN HÉRITAGE IMMATÉRIEL (2)

24/08/2023

 

 

C'est pourquoi il convient de marronner sans cesse...

 

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Un préalable psychique fondamental s'impose, car la base de ces croyances marronnes est une porte ouverte sur l'inconnu et sur l'éternité. Avec cette affirmation consubstantielle à la praxis Obiatique : « non les morts ne sont pas morts ! ». Car l'Obia expérimente que les morts ne font que nous précéder. Là où nous sommes, ils étaient. Là où ils sont, nous allons.

  

L'Obia est atemporel. Il est, il a été et il sera.

   

Entre les vivants et ceux que l'on dit morts, il s'agit d'établir et d'entretenir une indispensable connexion. C'est le fondement de cet animisme contemporain. Les morts, les Esprits des ancêtres et une multitude d'entités s'adressent à nous. Ils nous conseillent, ils nous parlent, nous sollicitent, nous incorporent parfois et aident ainsi à la compréhension confiante de ce qui est et de ce qui vient.

Il s'agit alors de connaissances transmissibles à tous ceux dès lors qu’ils se trouvent en progression spirituelle, qui renforcent la foi et l'espérance en l'Humain. Cette connaissance obiatique ainsi exprime-t-elle les réalités métaphysiques des multiples héritages de l'Afro-Amérique. Du Vaudou, du Candomblé, de la Santéria, de la Macumba, de l'Ubanda, du Winti, du Kumanti et de mille autres cultes populaires qui tous résistent à l'uniformité et à la soumission au monothéisme, ne lui accordant qu’une simple concession syncrétique. Car quels que soient les lieux ou les temples, partout il s'agit d'engager l'émancipation de l'Humain. Car l'Obia est le libérateur des carcans psycho-historiques, des dogmes et des prisons idéologiques. Il autorise la vraie réparation et l'évolution essentielle de l'âme humaine par des rites de réparation socio-spirituels. Il redonne du sens aux choses de la vie. Il permet de guérir des maux, des blessures psychiques et rétablir une vision saine de soi et des autres, en ce qui concerne le croire du moins plus que le faire, dans ce monde actuel, polymorphe, divers et compétitif.

 

image2.jpegAinsi, la praxis Obiatique est-elle thérapeutique autant qu'émancipatrice. Et c'est d'ailleurs l'une des efficacités incontestables de ces prises en charge psycho-spirituelles, de celles qui favorisent l'auto-délivrance, l'individuation positive, mais aussi la possession trans-personnelle, la transe et l'incorporation d'entités ésotériques ou d'ancêtres. Car la praxis obiatique bien encadrée domestique « le sacré sauvage » comme le décrit Roger Bastide, et ailleurs dans « Le rêve, la transe et la folie ». Elle provoque et procure le sens de tout en tout, grâce à ces connexions élevées qui visitent et enseignent les adeptes en incarnant à leur tour toutes les réponses. Evidemment, mal encadrées, la transe et l'incorporation peuvent servir des obsessions diverses et ambitions propres à l'homme en tout temps. Les déviances et manipulations peuvent être légion. Légion comme l'adversité sans visage qui est de toutes les époques et de tous les imaginaires. C'est pourquoi il convient de Marronner sans cesse.

Mais pour cela encore, l'adhésion à un préalable métaphysique est incontournable. Car l'Obia engage l'être en pleine conscience de son état divin en un processus d'auto-émancipation, d'auto-délivrance et d'auto-guérison. Car l'adepte sait que la vigilance est avec l'observance des principes et préceptes de ses alliés de l'au-delà, la base du combat. Le combat sans fin de l'homme auto-libéré et guéri avec les autres contre le désordre et le chaos désignés. Vigilance contre la méchanceté sans raison, combat contre la jalousie, la rapacité, l'égoïsme, la cupidité. Combat contre ce qui est nommé ici sans détour : la sorcellerie. La volonté perverse d'ajouter de l'injustice et du mal à l'injustice et au mal. Car ce que l'Obia nous propose aujourd'hui – comme naguère un devoir de révolte contre l'adversité absolue et la servitude – est bien une éthique spirituelle, une praxis atemporelle de la délivrance.

Image3.jpgPour cela, la médiumnité, la nécromancie, l'interrogation des morts, la transe et la possession sont des moyens. Le but ultime de ces combats quotidiens reste le même : libérer l'âme Humaine de ses propres entraves psycho-spirituelles en expérimentant par exemple la résilience qui doit conduire à la paix et triompher de la peur, de la honte ou du ressentiment. Car l'Obia délivre, et avec soi il délivre le monde et instruit collectivement mais aussi personnellement les vivants dans l'espérance de leur devenir, la connaissance de « l'après-soi ». C'est à dire du grand retour, de la réincarnation. Réincarnation partielle et plurielle d'ailleurs, ce qui augmente la portée universelle de cette croyance pleine d'espérance. Car voici la majeure croyance Marronne. L'esprit va et vient et au besoin revient. Il se réincorpore. Mais pour cela, – et c'est sur le plateau des Guyanes ce qui distingue entre autres l'héritage Obiatique des descendants des sociétés issues du Marronnage, les Businenge donc, qui pratiquent, ont pratiqué et pratiqueront encore l'interrogatoire des morts – le passage par un tribunal métaphysique est obligatoire. Un tribunal des vivants face à la mort. Un interrogatoire du défunt où l'importance est de savoir si la conscience du seul vrai combat à conduire dans la vie a été respectée, c'est-à-dire un comportement anti-sorcier. Un tribunal des vivants au moment des funérailles et qui autorise ou pas le passage à l'ancestralité.

Et au retour.

Au retour du meilleur de l'expérience vécue, un don, une trace de soi : c'est le nenseki des Businenge.

ob_bbc4058d72155af7186f0026880f4205_p2150080.jpegSans doute est-ce là de tous les rituels en Afro-Amérique celui qui est le plus explicite et ce n'est pas un hasard si on veut y voir encore et toujours la marque éternelle du marronnage. Pourquoi le Marron interroge-t-il ses morts ? Il s'agit de s'assurer que le défunt est resté du bon côté de la vie. Une vie où l'intelligence, la raison et le cœur peuvent-être empoisonnés par des passions nuisibles à l'homme en société. Et c'est là le fondement même de toutes les croyances Marronnes et le pourquoi de l'Obia. Le pourquoi de vouloir croire en un monde qui progresse avec l'assurance de l'appui des Esprits, des Entités, et des Ancêtres intimisés. Certes ce monde est dangereux et on en meurt. Croire, oui certes. Mais croire et pardonner et aimer. Selon la devise attribuée au Capitaine Apatou,  : Mati na pasiensi nanga pardun. (L'amitié est faite de patience et de pardon).

Les croyances marronnes sont les leçons reçues au jour le jour de ceux qui nous ont précédés sur les chemins de la liberté de jouir et d'espérer. Et ici, devant tant de descendants de Loweman pikin, quel héritage immatériel vouloir revendiquer ici avec eux ? Plus haut et plus fort que celui-ci et en partage avec toute l'humanité ? Une démarche universelle, spirituelle, contemporaine et réconciliée avec l'Histoire.

 OKwadjani

 

  Retrouvez bientôt la prochaine chronique d’Olson sur Un Témoin en Guyane


24/08/2023
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