Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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FRONTIÈRE EN VOIE D'EFFACEMENT

01/07/2023

 

Attention : ville marronne en formation

 

Capture1.JPGMont-Lucas... Un quartier de la périphérie de Cayenne connu et redouté pour ses échauffourées et ses mouvements de révolte contre la police. Ainsi que d’autres, comme Cogneau-Lamirande ou La Crique… Encore hier soir, on relate des affrontements... jusqu’à Soula que l'on pourrait qualifier de « banlieue enclavée ».

   

Motif exprimé : solidarité avec Nahel.

  

« Prétexte ? » direz-vous. Après tout, Nahel n'était pas d'origine « judéo-chrétienne », métaphore pudique pour dire qu'il n'était pas vu comme tout à fait français et blanc propre sur lui. Et si les causes sociales de ces révoltes de jeunes étaient les mêmes à 8000 kilomètres de distance ? Avec, de notre côté, le facteur aggravant certain que représente le ressentiment contre le passé esclavagiste et contre des « restes » de racisme subsistant dans le présent néocolonial ?

Des infrastructures de loisirs inutilisables ou inexistantes, des transports en commun dilettantes, des centaines de CV envoyés et demeurés sans réponse, un futur plus qu'improbable...

Alors... neuf-trois et neuf-sept-trois, même combat ? Peut-être pas. Regardons.

 

Depuis plusieurs décennies, la déstructuration de l’économie française dans le secteur secondaire, appuyée sur la globalisation sauvage, a entraîné la précarisation toujours plus courante d’une partie de plus en plus importante de la population en même temps que l’abandon d’activités de développement primaire et secondaire dans les régions ultra-périphériques. 

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Dans les actuels DROM[1] ne subsistent que des activités du secteur tertiaire dites « de service ». D’autres, méchantes langues ou esprits lucides, c’est selon, les nomment « emplois assis ». On fatigue rien que d’y penser… Mais si la France est bonne fille, elle n’est pas une très bonne maman et elle peine à répartir équitablement les emplois de fonction publique entre tous ses enfants, pas plus gwyané, gwadlup, matinik ou réyoné et encore moins maoré, les derniers adoptés.

 

[1] Anciennement DOM, oui, ma grand-mère a eu du mal avec le passage du SRG au SRD au Suriname, plus explicitement le passage du florin au dollar. Il faut bien se faire aux nouvelles appellations surtout quand elles datent de vingt ans déjà). 

Fu san ede ?... Ki rézilta ? Restons en Guyane.

L’Insee considère comme actives les personnes en emploi et au chômage. Les sans-emploi écartés du chômage sont donc considérés comme inactifs. Cette précision semble nécessaire pour faire parler les chiffres au plus près de la réalité.

Cet institut nous informe, pour ce qui est des jeunes, que « 28 % des actifs de 15 à 29 ans sont au chômage. Sur l'ensemble de cette tranche d'âge (actifs ou non), 18 % travaillent. Toutefois, nous dit-on plus loin, ce chiffre n'est pas alarmant. Il s'explique par le simple fait que certains d'entre eux sont encore en étude ».

 

pngtree-turkey-cartoon-turkey-chicken-poultry-png-image_442901.jpgNous nous permettrons ici deux remarques. La première, c’est que, si 18 % des humains d’une tranche d’âge travaillent, qu’ils soient actifs ou non, cela signifie pour un esprit sensé que 82 % ne travaillent pas. La seconde porte sur le cynisme à peine dissimulé qui fait dire aux rédacteurs de ce rapport que parmi les individus de ce groupe, « Certains d’entre eux sont encore en étude » ! Les jeunes Guyanais, en étude ? Qui sont alors tous ceux que l’on voit « tenir les murs » de nos quartiers informels, ou ceux qui se regroupent autour d’une voiture tunée diffusant du reggae que l’on peut entendre plusieurs quartiers de maisons plus loin ?

Une fois de plus, Manman Républik nous prend pour des dindes prêtes à avaler toutes sortes de graines génétiquement modifiées.

Parlons à présent de nos fameux quartiers… La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 recentre la géographie prioritaire sur les territoires présentant les difficultés les plus marquées pour y concentrer les moyens publics. La politique de la ville s’articule sur trois piliers : le développement de l’activité économique et de l’emploi, la cohésion sociale, et l’amélioration du cadre de vie des habitants des quartiers. En Guyane (comme en Guadeloupe), les Quartiers de la Politique de la Ville (QPV) correspondent à une partie du territoire communal où les conditions de vie sont les plus difficiles.

Quatre profils de QPV ont été identifiés. Nous nous arrêterons un instant sur le premier de ces profils, qui identifie les cinq quartiers les plus défavorisés de Guyane qui se situent tous (faut-il s’en étonner ?) sur la commune de Saint-Laurent-du-Maroni (Les Sables Blancs, Saint-Maurice, Balaté-Charbonnière, Fatima et Saint-Jean). Ils se détachent d’emblée de tous les autres QPV de Guyane en raison d’indicateurs défavorables sur les trois piliers de la politique de la ville (emploi, cohésion sociale et cadre de vie).

C’est dans ces quartiers qu’on trouve des grands ménages plus nombreux : une famille sur trois est une grande famille, contre une sur dix dans les communes hors QPV. Les familles monoparentales représentent plus d’une famille sur deux, et ce taux dépasse les deux tiers aux Sables Blancs. Enfin, la population est très jeune : les moins de 20 ans représentent près de 60 % de la population, contre 35 % dans les communes hors QPV.

5d9651a50506c_photo-2019-02-21-12-37-46-1020709.jpgLes habitants subissent de fortes difficultés d’insertion sur le marché de l’emploi. En particulier, le taux de chômage est de 30 points supérieur au reste du territoire et monte à 75 % aux Sables Blancs. La part des inactifs (la population ni en emploi, ni au chômage) est en moyenne de 20%. Rappelons ici que les chômeurs cochent la case « en activité », ce qui, toutes choses regardées avec un regard autre que statistique-comptable, nous amène à ce constat effarant : 80% des habitants de ces quartiers sont sans emploi.

Notons aussi que le taux de scolarisation des jeunes de 15 à 24 ans est le plus faible ici.

Les enjeux de la politique de la ville sur les quartiers de ce profil sont multiples, tant en matière de formation de la jeunesse et d’insertion, qu’en matière d’aménagement du confort des logements ou de cohésion sociale. Le développement rapide de la commune pose aussi la question d’un élargissement des quartiers prioritaires. Utile ?

Il nous faut revenir au motif supposé des affrontements avec la police sur tout le territoire national y compris hexagonal, à savoir la mort d’un jeune, délinquant, certes. Mais, en préambule, je ne peux me retenir de poser la question suivante : le refus d’obtempérer est-il passible de la peine de mort ?

 

-  NON !... répond en chœur la classe politique dans son ensemble. Non, bien sûr…

 

-  Mais SI !... puisque ce type d’événement se reproduit cycliquement, sans que les forces de l’ordre ne changent rien à leurs pratiques.

 

Capture2.JPGAu cours des dix dernières années, cent vingt-quatre personnes ont été tuées par l’ouverture du feu par les forces de l’ordre, soit une par mois en moyenne. Et, entre 2018 et 2022, le nombre de ces décès par balle a doublé, passant de 13 (un par mois) à 26 (deux par mois). Dans la plupart des cas, le motif invoqué par le policier pour expliquer son geste (légitime défense ou refus d’obtempérer) est réfuté par les témoins ou les images vidéo. Ce qui tendrait à montrer deux choses : la première, c’est que les fonctionnaires en cause sont conscients d’avoir commis une bavure et la seconde, c’est qu’ils vont tenter de placer la responsabilité sur la victime, favorisant chez le citoyen lambda le sentiment « qu’il l’a bien cherché, après tout ».

Il me revient à cette occasion un événement d’une tragique actualité, que l'on m'a rapporté et qui s’est déroulé à Saint-Laurent voici un mois, à peu près.

 

Charles A…, père de quelques enfants et vivant en couple s’aperçoit que sa femme voit un autre homme que lui. Or, depuis longtemps, Charles se trouve confronté à des difficultés de maîtrise de son comportement. Bien sûr, il est ensorcelé, pensent certains de ses proches. Voyant un jour la voiture de son rival garée devant chez lui, il se saisit alors d’un détendeur de gaz traînant par là et commence à l’utiliser pour défoncer ladite voiture. Des voisins appellent alors des forces de l’ordre en renfort. Charles ne maîtrise plus sa colère et s’approche des trois uniformes venus le calmer.RTR2EFNY.jpg Il essuie tout d’abord un coup de taser mais le bwi qu’il porte au bras et toutes ses protections obiatiques l’empêchent de réagir à la décharge. Il s’approche alors de l’homme en uniforme qui lui braque son arme sur le ventre et l’abat à bout portant. Tout a été filmé.

Le lendemain, le tireur meurtrier aurait été mis dans l’avion pour une destination dont nous n’avons pas eu connaissance.

 

Comment expliquer que les mêmes causes (dans les deux cas : un individu tué par un homme en uniforme armé qui l’abat à bout portant) n’aient pas les mêmes effets ni le même traitement médiatique ? Et si Saint-Laurent avait d’autres chats à fouetter ?

 

En Hexagonie on casse les vitrines, ici on pille sans en avoir l’air, on dévalise tranquillement.

Chez le Chinois, on entre, on « fait ses courses » et on sort calmement de la boutique, à deux ou à trois en assurant le commerçant - éventuellement - qu’on le paiera demain.

Bientôt Super U ? C’est déjà là. Rappelez-vous le kowru a bere que j’évoquais lors de la précédente chronique, ou encore ce que j'écrivais à propos du Suriname.

L’hôpital ? Il est de coutume de s’y rendre et d’omettre de répondre aux demandes de règlement… que l’on ne recevra pas puisqu’on habite chez un membre de sa famille ou qu’on squatte dans un quartier informel.

  

Depuis la faillite de l’État surinamais, Saint-Laurent (pardon, Solan) voit sa population croître encore, ce que votre serviteur vous avait également annoncé.

Au dégrad Charbonnière, malgré les rochers déposés en bordure de rue pour en interdire l’accès, un immense marché-bis se tient, où l’on peut acheter ce que l’on veut ou presque, alors qu’au marché officiel, il n’y a plus guère que les Hmongs pour tenir leurs étals, à quelques rares exceptions près.

Les gendarmes ? Ils passent au Village Chinois, à la Charbonnière et aux Sables-Blancs mais ne descendent pas de voiture. S’ils d’aventure ils leur venait l’idée de rompre le pacte implicite qui semble désormais les lier à la population en arrêtant leur véhicule, il y a toutes les chances pour qu’instantanément un groupe s’amalgame autour d’eux. Cela se passe sans violence apparente, l’important est d’occuper le terrain, voilà tout. Des bandes se forment, se défont et se recomposent en fonction des situations ou des occasions, l’important étant de montrer « qu’on est chez nous », même si l'on a traversé le fleuve pour être là.

 

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Et si on est bien « chez nous », l’essentiel est de s’y implanter pour y rester. Combien d’appartements (occupés par des Blancs qui vont partir en vacances pour un mois ou deux) pourraient se retrouver squattés à leur retour ? Là sont les vrais gangs qui vont passer à l’action et occuper les appartements inoccupés pendant l’été. « Occuper le terrain » semble être devenu le leit-motiv d’une population en chantier, celui d’effacer la frontière. Albina est-elle en passe de devenir un quartier de Solan ou bien est-ce le contraire ?

Car désormais, le dernier mot appartient non pas à celui qui porte l’uniforme, mais à celui qui a une foule derrière lui.

 OKwadjani

 

 Retrouvez bientôt la prochaine chronique d’Olson sur Un Témoin en Guyane

 



01/07/2023
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